• Interview de Marie Henri (14 septembre 2018)

    Interview d'Igor Keltchewsky, du groupe Marie Henri.

    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de Marie Henri (14 septembre 2018)

    Baptiste et Gérald : A l'évidence, ta musique offre une esthétique très référencée et très « arty », on pense au design des couvertures, et même à ton bandcamp. D'où vient cette orientation ?

    Igor Keltchewsky : J'ai fait les Beaux-Arts à Lyon, j’y ai passé 5 ans, puis j’y suis resté encore un peu car j’aimais bien cette ville, la vie y est assez agréable. Ceci dit, la musique a toujours été le fil rouge de mon histoire artistique, précédant les arts plastiques. Je me suis rendu compte très vite qu’apprendre des choses formellement gâchait ma passion, ou m'en détournait. J’ai par exemple pris des cours de batterie pendant quelques années, et cela a fini par m’angoisser, par m’écœurer, comme le fait d’aller au lycée. J’ai donc vite compris qu’il ne fallait pas que je fasse d’études en lien avec la musique ; au contraire je devais veiller sur cette passion et cet espace de liberté comme sur un trésor. Et puis je dois dire qu’il est plus simple pour moi de communiquer à travers la musique, c’est un langage que je maîtrise mieux. J’ai tenté de mélanger la musique et les arts plastiques quand j’étais aux Beaux-Arts, mais là-bas on était plus focalisés sur la recherche expérimentale de sons, ce qui ne me correspondait pas du tout : je voulais juste faire des chansons, et les chanter ! J’étais dans une démarche très pop et spontanée. Néanmoins, lors des deux premières années d’école, j’ai un peu mis de côté la musique pour me concentrer sur la peinture, la vidéo, la photo, ce qui m’a permis – je ne l’ai réalisé que récemment – de prendre du recul sur la musique et d'envisager d'autres possibles…

    B & G : Ce parcours devait t'emmener tout droit vers la « performance » artistique…

    Igor : Oui, j'ai découvert beaucoup de choses qui m'ont influencé, comme la musique minimaliste, avec Philip Glass, Rhys Chatham ou d'autres. Cela me donne des idées pour mes lives, bien que je doive reconnaître que j'ai des difficultés à mélanger l'aspect performatif avec la musique. Je ne me sens pas l'âme d'un performeur finalement, je suis plus à l'aise chez moi, face à mes compositions, avec mes bricolages musicaux, pour essayer de faire de jolis morceaux. Cela dit, la scène a toujours été un élément assez compliqué à gérer. Un peu de timidité, mais aussi un peu d'incompréhension. Mais certaines expériences récentes m'ont permis d'envisager le live différemment, davantage comme un moment de partage et d'énergie ; auparavant, j'avais tendance à vouloir prolonger le moment de composition de ma chambre vers la scène, ce qui n'a pas beaucoup de sens, en définitive.

    B & G : Tu disais tout à l'heure que tu as pris des cours de batterie, pas banal pour quelqu'un qui est à l’affût de la mélodie, de la bonne compo…

    Igor : Je suis obsédé par le rythme, c'est un moteur dans ma manière de composer. Ce qui me plaît dans la guitare, c'est la rythmique. J'ai écouté beaucoup de punk, les Ramones, les Sex Pistols, ce qu'ils faisaient ne nécessitait pas d'avoir une technique folle. En revanche, cela m'a beaucoup appris sur le rythme. J'ai joué de la batterie vers l'âge de 11 ans dans un groupe où il y avait aussi mon frère. J'ai composé mes premiers morceaux à 12 ans, et j'ai toujours voulu enregistrer… Je jouais avec un pote du collège, à Versailles. On faisait une sorte de Simon & Garfunkel, easy listening – même si je n'aime pas le terme –, à notre niveau bien sûr !

    B & G : Que pouvait-on trouver dans ta CDthèque d'adolescent ?

    Igor : Des choses très variées : ça allait de Prodigy à Aqua, en passant par Blink 182 ! Depuis, j'ai mis de côté beaucoup de choses, mais d'autres sont restées, les Clash par exemple. Un peu plus tard, vers 15-16 ans, j'ai écouté toute la britpop, Pulp et Jarvis Cocker, Oasis, Blur. Et puis tout ce qu'a pu faire Damon Albarn. En revanche, les influences plus françaises sont venues tardivement, je n'ai pas baigné dans la variété française. Je ne connais pas bien Lio, ni Michel Berger-France Gall, bien que j'aie fait une reprise de « La déclaration d'amour » pour une compil' au moment de la mort de France Gall. Le produit des ventes était reversé à une association qui s'occupe d'accueillir des migrants. En revanche j'aime beaucoup Patrick Coutin ! Et, plus récemment, Dondolo aussi ! Et puis je n'ai pas pu échapper à Gainsbourg ou Bashung.

    B & G : Tu joueras ton premier concert parisien avec ton projet Marie Henri le 20 septembre pour la 4ème édition de This Is French Pop, c'est bien ça ?

    Igor : Oui tout à fait. J'ai déjà joué les morceaux de Marie Henri dans le cadre d'une expo à Villeurbanne, on avait fait seulement 5 répétitions je pense ! Désormais, pour Marie Henri, j'ai allégé mes parties synthé pour pouvoir me concentrer sur la guitare et le chant. Mais j'ai déjà joué à Paris, avec mon autre projet Abraham Murder (cf https://abraham-murder.bandcamp.com/) que je mène depuis 5 ou 6 ans. J'ai sorti un disque en décembre 2017, et j'ai enchaîné avec une petite tournée. C'est un projet qui est orienté « multi-plateforme » musique, dessin animé, jeux vidéos. Gorillaz a été une grosse inspiration évidemment. J'étais fasciné par cette façon de mélanger les genres et les sonorités, tout en conservant une cohérence et une unité. J'aime bien cette démarche qui aboutit à cristalliser un moment artistique, à encapsuler son temps dans une œuvre. Un peu comme Houellebecq peut le faire dans ses bouquins ; justement un de mes albums fétiches c'est l'album de Houellebecq et Burgalat, Présence Humaine… Pour en revenir à Abraham Murder, on retrouve des sonorités de Marie Henri bien entendu, dans la mesure où je travaille avec le même matériel. Mais c'est plus froid, plus cold wave, avec des aspérités plus anglo-saxonnes. D'ailleurs, ce sont des morceaux en anglais. J'ai appelé ce projet ainsi car un de mes prénoms est Abraham, et les deux autres sont Marie et Henri. J'ai ressenti le besoin d'avoir un nom féminin pour mon autre projet, et ça tombait plutôt bien que je porte un prénom de femme ! J'aime bien l'idée d'avatars, alors je pense que les prénoms que l'on porte peuvent être des révélateurs de différentes facettes de nos identités cachées…

    B & G : Comme Alex Rossi, tu aimes la chanson italienne. Tu reprends d'ailleurs « Sarà Perché Ti Amo » de Ricchi e Poveri et « Ancora Tu » de Lucio Battisti dans un album de reprises … Qu'est-ce-que tu aimes dans la chanson italienne ?

    Igor : « Sarà Perché Ti Amo », c'est vraiment la chanson de touristes italienne, mais en même temps elle me plaît vraiment, car il y a cette légèreté, ce côté décomplexé, dont j'avais besoin pour me lâcher. Et puis ensuite j'ai découvert Lucio Battisti, il y a un an à peu près : à chaque morceau écouté, je me prenais une claque. Ce qui m'a frappé, c'est à quel point, surtout chez lui, la langue vient façonner et rythmer la mélodie. Je m'étais fait cette réflexion quand j'ai découvert Shintaro Sakamoto, chanteur du groupe Yura Yura Teikoku…

    B & G : Qu'est-ce-que tu penses de l'écriture en français alors ?

    Igor : J'ai mis beaucoup de temps avant d'assumer des paroles en français. En France, on est trop littéraires, on aime trop le texte. Même s'il est important de soigner les paroles, les chansons ont besoin d'autre chose, à mon sens, pour exister et livrer ce qu'elles veulent exprimer. Elles s'accommodent souvent mal de cette pesanteur littéraire. Alors en France, quand on fait de la pop, on est entre la variété et la chanson à textes, on est pris entre deux feux… Il est assez délicat de naviguer entre !

    B & G : Quels sont les projets pour Marie Henri ?

    Igor : J'aimerais bien sortir l'album qui est sur le bandcamp en physique, donc trouver un label qui pourrait me soutenir. Et puis – c'est une des raisons de mon retour sur Paris – mon but est de faire plus de concerts…

    B & G : Quel est le plus beau compliment qui t'a été fait ?

    Igor : Aux Beaux-Arts, au moment d'un diplôme un peu raté d'ailleurs, on m'avait dit que mon travail était « singulier et personnel ». J'aime bien entendre ces termes ; unique c'est un peu fort, je ne crois pas que je puisse prétendre à ça. Et puis j'aime bien manipuler des clichés, des images collectives, autant dans la musique que dans la vidéo. Ce qui fait que le pire compliment qu'on pourrait me faire, en revanche, serait de dire que ma musique est « sympa ». Ce qui signifie : « c'est ok », « ça passe » !

    B & G : C'est le moment de l'interview « dernier coup » ? Dernier coup de rouge ?

    Igor : Dans l'attente du prochain ! C'est pas du Deleuze ça !

    B & G : Dernier coup de cœur ?

    Igor : J'en ai tous les jours beaucoup ! Mais le dernier gros coup de cœur, même si ça remonte, c'est Lucio Battisti. Ça m'a remis en question. C'est assez ancien, et pourtant ça vieillit terriblement bien. Et en plus, sa musique a tendance à ouvrir des portes, au contraire de celle de Gainsbourg par exemple.

    B & G : Dernier coup de gueule ?

    Igor : Je ne suis pas trop dans le coup de gueule, j'essaie toujours de comprendre ! Les choses qui m'agacent me font réfléchir, mais pas vraiment réagir. Je suis un animal à sang froid…

     

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         - Bandcamp : https://mariehenri.bandcamp.com/


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