• Interview de Nicolas Vidal (14 juin 2019)

    Interview de Nicolas Vidal, 14 juin 2019.

    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de Nicolas Vidal (14 juin 2019)

    Baptiste & Gérald : Comme tu le chantes dans ta chanson « Pop boy à Paris », tu es d'influence plutôt anglo-saxonne bien que tu privilégies le chant en français. Comment expliques-tu ce croisement ?

    Nicolas Vidal : Concernant l'écriture en français, il est bien entendu plus simple d'écrire dans sa langue. J'ai fait quelques tentatives en anglais sur mon deuxième album avec deux titres en anglais dont la finalisation m'a pris un temps fou… Depuis les années 60 et les Beatles, la musique anglo-saxonne et anglaise en particulier influence le monde entier : si tu aimes la pop, tu aimes forcement la musique anglaise. Cela dit pour le morceau « Pop boy à Paris », j'avais envie de me moquer un peu de cette tendance qui a imposé de faire du rock ou de la pop en anglais, et qui disait qu’Indochine ou BB Brunes c'était pas terrible. Au contraire je pense que la pop en français a eu de grands noms, des noms qui sont aussi important à mes yeux que les grands noms de la pop anglaise.

    B & G : A qui penses-tu en particulier ?

    NV : Au début des années 80 en France, la période rose bonbon, Taxi Girl, Elli et Jacno, Indochine dans un genre plus mainstream. Daho aussi, Lio. Toute cette scène de la fin des années 70-début 80 a été, à mes yeux, le vrai âge d'or de la pop en français. Je suis né en 76 et j'écoutais tous ces gens quand je suis sorti de Chantal Goya et de Karen Cheryl. Et puis vers 10 ou 11 ans, le plus grand choc est tout de même venu de l'Angleterre : Depeche Mode et The Cure, c'étaient des groupes de new wave mais avec des morceaux très mainstream en même temps. Bref toute la musique que j'ai écoutée entre 10 et 15 ans a forgé toute la base de ma culture musicale. J'insiste sur le fait que quand tu es enfant tu ne te mets pas de barrière dans ce que tu écoutes : il n'y a pas ce qui est hype et ce qui n'est pas hype, il y a juste de bonnes mélodies. Et puis si tu prends tout simplement Lio et son album le plus connu Pop model, tu te rends compte que ce sont de super mélodies mais que la production est également très pointue, avec la participation de John Cale, Jacques Duvall, Alain Chamfort. Ce ne sont pas n'importe qui !

    B & G : Il y a un problème français vis-à-vis de la pop ?

    NV : Il y a un problème de snobisme en France. En Angleterre tu peux aimer Kylie Minogue et Franz Ferdinand, cela ne pose de problème à personne. Quand je sors mon premier album en 2011, Lio n'était pas complètement réhabilitée, comme elle l'est maintenant. Il ne fallait jurer que par Dominique A, Miossec, Vincent Delerm.

    B & G : Certaines chansons de Bleu piscine nous ont fait penser au dernier album de Pascale Borel...

    NV : J'aime beaucoup Pascale, j'aime beaucoup Mikado aussi d'ailleurs. Pascale avait accepté de venir chanter sur scène avec moi pour la sortie de mon premier album. Je l'avais rencontrée à l'occasion d'une interview pour la sortie de son premier album solo Oserais-je t'aimer. C'est la première artiste à avoir beaucoup compté pour moi qui a accepté de collaborer sur l'un de mes morceaux. Cela me permettait de raccrocher les wagons de cette pop que j'ai tant aimée pendant mon enfance et mon adolescence. C'était comme un certificat !

    B & G : Tu t'es aussi essayé à la chanson en italien. Le morceau "Amore", extrait de l’album Les nuits sereines n’existent pas, est superbe…

    NV : Merci. La chanson "Amore" ne devait pas être sur l'album au départ. C’était la musique du film “Maîtresse”. Le réalisateur Olivier Briand, un ami, qui réalisait son premier court-métrage, avait besoin d’une chanson italienne, et il avait choisi une chanson des années 60, très nostalgique. Sauf que les droits pour utiliser la chanson dans le film coûtaient très chers.  Le film était déjà tourné, alors il m'a demandé de lui faire une chanson en italien pour le film. Le temps et le budget ne me permettaient pas de faire une chanson se rapprochant des arrangements d'une chanson des années 60, mais je lui ai proposé de faire une chanson un peu plus italo-disco. Avec Thierry Garacino qui travaillait avec moi sur mon deuxième album, on s'est lâchés ! J'ai réécouté Valérie Dore, deux de ses 45 tours que j'adorais. La structure de ce morceau n'est pas commune, afin de respecter le timing du film : il y a une intro, un premier couplet, un refrain et ensuite on a deux couplets. J'ai demandé à Pascale Daniel de faire les chœurs. Très vite après la projection du film, dont le morceau est également devenu le générique de fin, j'ai senti que le public réagissait très bien. Alors j'ai décidé de la mettre sur le troisième album et de tourner un petit clip dans les Pouilles… Et puis cela fait le lien avec un certain courant de la pop française qui était très portée sur l'Italie : Daho, Lilicub etc. D'ailleurs, dans un genre un peu différent de la pop anglaise, la musique italienne est plus spontanée que la musique française… Qu'on parle du mouvement High Energy, ou de Sabrina, bien qu'elle soit le cliché de la chanteuse bimbo, c'était super bien produit et assez queer. Cela m'a autant construit que Question of Lust de Depeche Mode. Il y avait moins de complexe à l’époque : l'imagerie des Pets Shop Boys, de Franky Goes to Hollywood… Après on est revenus à un certain puritanisme, avec pas mal de critères hétéro-normés dans la pop, même si je n'aime pas trop utiliser ce terme. En France, on n'a pas trop connu ça, un peu avec l'Indochine des années 80 qui avait le mérite d’amener la question du genre dans la pop mainstream.

    B & G : Avant de synthétiser toutes ces influences, tu as eu une formation musicale ? Tes parents écoutaient quel genre de musique ?

    NV : Comme beaucoup d'enfants, j'ai fait un peu de solfège mais ça m'a gonflé rapidement. En revanche, dans ma famille, la culture était très importante : il y avait beaucoup de livres chez moi, des disques… J'ai commencé à faire du théâtre à 11 ans. Mes parents écoutaient Brel, Nougaro, Brassens Led Zeppelin, Deep Purple, Bernard Lavilliers… Cela ne me parlait pas beaucoup à l’époque, mais le point de ralliement  était fait par France Gall, qu’ils écoutaient beaucoup et que j’adorais. Ils m'ont emmené voir des concerts très tôt. Les immanquables des années 80, Chantal Goya, Jean-Jacques Goldman, Mylène Farmer, Depeche Mode. Cela dit mes idoles, quand j'étais plus jeune, étaient dans le cinéma. J'étais fan de Mickey Rourke et de Béatrice Dalle. Côté réalisateurs, j'adorais Bertrand Blier, Jim Jarmusch, des choses plus indépendantes. En revanche, je suis passé complètement à côté des bandes originales, sauf peut-être celle d’Arizona Dream. Gamin, mon film préféré était "L'histoire sans fin", j'étais fan du morceau « NeverEnding Story ». Je ne savais pas que c’était Moroder à l’époque.

    B & G : Tu t'es mis ensuite au piano en autodidacte ?

    NV : La veille de mon départ pour Paris où je suis monté à 24 ans pour faire du théâtre, je vais boire un verre avec une amie qui me présente alors son nouveau mec, Sébastien. Il était musicien, il avait un groupe. Et il me lance sur le fait qu'il a appris que j'écrivais des textes, des poèmes… Je lui laisse quelques textes, je pars à Paris, et quelques semaines après il m'appelle pour me dire qu'il a trouvé une mélodie sur l'un de mes textes, un texte intitulé « Septième Art », une chanson sur le cinéma, y'a pas de hasard ! Il me joue l'instrumental au téléphone. Je trouve ça super ! Je suis venu à la composition de musique par l'écriture : j'écrivais beaucoup de textes, j'avais des mélodies en tête, et quand je revenais chez moi à Bordeaux, on trouvait des mélodies plus fines, des arrangements. A la fin de mes cours en 2003-2004, je monte une pièce, dont les scènes devaient être reliées par des chansons. Alice Bassié, que j'ai rencontrée via les petites annonces de la Sacem, a travaillé des mélodies sur mes textes… Au final, j'avais plus de 20 chansons, et j'ai décidé de faire un petit concert. Je sentais qu'il y avait plus d'émotions avec mes morceaux que lorsque je jouais au théâtre… J'ai donc arrêté le théâtre pour me consacrer à la musique. Je faisais des choses très “chanson” à l’époque. Peu après, au Pop In, je rencontre Anne et Guillaume qui faisaient  de l'électro sous le nom de Radioedit. Ils me proposent de tester des synthés et m’apprennent les rudiments de Cubase. Je découvre les samples, les boîtes à rythmes… Et je me mets à la pop. La plupart des chansons de mon premier album sont issues de cette période.

    Interview de Nicolas Vidal (14 juin 2019)

    Photos de Sébastien Navosad

    B & G : Comment se déroule l'enregistrement de ton premier album ? 

    NV : Un ami me présente le manager de Matmatah, groupe qui était en train de se séparer à ce moment-là. Eric, le bassiste du groupe, cherchait des projets à réaliser, à produire. Il a beaucoup aimé mes maquettes, contre toute attente, car on ne venait pas vraiment du même monde musical ! On se rencontre à Paris, il me dit qu'il est tout à fait sensible à mes influences Jacno, Mikado… Me voilà parti en Bretagne, en 2011, pour travailler mes chansons avec lui. Je me retrouve en studio, mais je ne sais pas comment cela fonctionne ! Par exemple, je ne savais pas qu'on enregistrait normalement une voix témoin, et puis qu'on supervisait l'enregistrement par ailleurs. Ce n'est qu'au bout du cinquième jour qu'Eric m'a dit que ce n'était pas nécessaire que j'aille chanter à chaque fois que les musiciens jouaient ! Thierry Garacino devait au départ mixer l’album, mais il m'a aidé à retravailler quelques chansons, à rendre plus pop certains titres qu’on avait emmenés vers un son que j’aimais moins par la suite… Deux réalisateurs pour cet album donc, qui ont été ultra bienveillants et ouverts, auprès de qui j’ai beaucoup appris !

    B & G : L'enregistrement du deuxième album semble t'avoir définitivement orienté vers la musique ?

    NV : D'abord, c'est l'album où j'ai vraiment défini mon style. Et puis après avoir découvert l'enregistrement en studio, je n'arrêtais pas d'écrire et de faire des maquettes. Ma force était de ne pas être musicien : je compensais ma faiblesse technique par des gimmicks. C'était très raccord avec ce que j'écoutais. D'ailleurs, il y a deux morceaux que j'avais composés à l'époque du premier album qui se sont retrouvés sur le troisième : « Pop boy à Paris », et « Sous ton ombrelle ». Il y a un fil tout de même dans cette décennie de musique ! Maintenant que j'ai défini un socle, j'ai plus envie de faire des collaborations.

    B & G : Dans la scène française actuelle, qui t'a le plus marqué ?

    NV : Musicalement, je me sens assez proche de Cléa Vincent, et de sa légèreté mélancolique. Quand j'ai écouté sa musique, j'ai senti une familiarité d'influences et de spontanéité. Cela dit, on a l'impression que c'est simple ce qu'elle fait, alors que ses compos sont très travaillées, avec des accords particuliers. Après, je me sens assez proche de ce que fait Romain Guerret, ou plutôt je sens qu'on a écouté les mêmes choses quand on était plus jeunes. J'adorais son projet Dondolo, qui était très en avance sur ce style années 80, avec des synthés, un mélange de Gotainer et d’italo-disco. J'aime beaucoup Niki Demiller aussi, c’est un super mec. On a un projet de spectacle basé sur des chansons de Françoise Sagan. On ne vient pas du même monde musical, il est plus rock que moi. Mais on se retrouve sur plein d’influences malgré tout. Il a un vrai talent de compositeur et d'arrangeur. J'ai très hâte d'écouter son album. J'aime beaucoup Jo Wedin & Jean Felzine ; Jean Felzine écrit de très beaux textes, il chante et joue admirablement bien. J'aime beaucoup le projet très soul de Jo Wedin : on est tous avec nos synthés, et elle, elle revient dans ce style très produit, acoustique… J'aime beaucoup Adrien Gallo aussi, son album solo Gemini m'a subjugué. Le morceau "Oslo" est un chef d'œuvre à mes yeux. C'est très fin, tout comme ce qu'il a écrit pour Vanessa Paradis. Et puis Loane, je trouve son dernier album vraiment très réussi. J’aime quand les chanteuses font elles-mêmes leurs prods. C’est souvent très personnel. C’est le cas de cet album.

    B & G : Et tu as une double vie : parle-nous de Faces Zine, le webzine dont tu es le fondateur.

    NV : Ma première motivation était que je voulais me remettre à la photographie. Parallèlement à la musique, j'ai bossé dans la mode pendant plus de quinze ans. Et j'avais toujours bien aimé les numéros de fin d'année de Vogue dans lesquels tu pouvais lire des portraits d'artistes, où figuraient des photos persos, leur playlist etc. Donc j’ai créé un format d’interview à laquelle j’aurais aimé participer en tant qu’artiste. J'ai commencé par interviewer Constance qui joue avec moi sur scène, pour son projet Une Femme Mariée, puis Pierre Faa. Pour le troisième numéro, j'ai interviewé Pascale Borel. Cléa Vincent a rapidement accepté, tout comme Romain Guerret, Jean Felzine et Jo Wedin, Bertrand Burgalat... Ça a vite pris au niveau des artistes, des attachés de presse… Et puis, grâce à Jeanne, la copine de Romain, on m’a proposé de rejoindre un programme d'incubation, ce qui a fait passer un cap à Faces. Pour moi, c'est faire de la musique d'une autre manière, en faisant la promo des groupes et artistes que j'aime. Et défendre aussi la musique pop qui est moins mise en avant. 

    B & G : Quels sont les projets sur lesquels tu es en train de travailler ?

    NV : J'ai réalisé avec Valentin Aubert l'album d'Emma Solal qui est sorti cette année, et j'ai écrit des chansons pour elle. Et puis j'ai travaillé sur quelques morceaux pour moi, j'en suis aux prémices de mon quatrième album. J’ai envie d’aller sur quelque chose de plus soul. J'ai envie d'élargir ma palette. J'ai fait mon album Lio, j'ai envie de passer à Diana Ross maintenant ! Mais j'ai surtout un projet de scène et d’album : des reprises de chansons écrites par Françoise Sagan pour Régine, Mouloudji, Gréco… Je vais le faire avec Niki Demiller qui s’occupe des arrangements. J'essaie de raccrocher ces chansons à mon univers personnel. Ça s'appellera “Ma mère s'appelle Françoise”.

    B & G : On passe à l'interview « Dernier coup ». Ton dernier coup de rouge ?

    NV : Cela me fait penser au carton rouge : je revendique assez facilement le fait d'être homo dans mes chansons, et quand je vois toutes les agressions homophobes aujourd'hui, ça me choque énormément. Les artistes devraient plus se mobiliser en en parlant plus, plutôt que de se cacher derrière une pseudo “vie privée” un peu hypocrite…

    B & G : Dernier coup de cœur ?

    NV : Sur le plan musical, c'est un chanteur canadien qui s'appelle MorMor, il a sorti deux EPs, à la fois pop et soul, très beaux et délicats.

    B & G : Dernier coup de blues ?

    NV : J'ai été très déçu par le dernier album de Vanessa Paradis. Mais bon, je l’adore quand même.

     

    Nicolas Vidal sera en concert le 27 juin au Blackstar (6 passage Thiéré - 75011 Paris) : soirée "This Is French Pop #5", avec Jean Felzine et La Standardiste.

     

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