• Interview de Niki Demiller (8 novembre 2018)

    Interview de Niki Demiller, pour la sortie de l'EP L'Aventure le 29 novembre 2018.

    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

     Interview de Niki Demiller (8 novembre 2018)

    Baptiste & Gérald : On va d’abord essayer de connaître ton parcours musical. Comment as-tu commencé à jouer de la musique ? Est-ce que tes parents s’intéressaient à la musique ?

    Niki Demiller : Non, mes parents n’écoutaient pas trop de musique. En fait, j’habitais en banlieue, dans le Val-de-Marne, et je m’ennuyais. A Champigny-sur-Marne, il n’y avait rien à faire. Avec mes copains, vers l’âge de 12 ans, on s’est mis à écouter du rock. 

    B&G : Quels sont les premiers groupes qui t’ont marqué ?

    ND : Les Ramones et les Stooges. J’avais un copain d’école dont le père avait joué dans Métal Urbain, un groupe mythique de punk français. Du coup, un des premiers concerts auxquels j’ai assisté, c’était la reformation de Métal Urbain. C’est un des concerts les plus fous que j’ai vus, ça a changé ma vie.

    B&G : Avec tes copains, tu as tout de suite voulu constituer un groupe de rock ?

    ND : Oui, pour passer le temps, on s’est mis à jouer. On tapait sur des cartons. On avait une seule guitare, qu’on faisait tourner à trois. On faisait du Ramones. Et très vite, on a composé nos propres chansons.

    B&G : D’ailleurs, jouer les chansons des Ramones, ce n’est pas aussi simple que ça en l’air.

    ND : Oui. Joey Ramone est un grand chanteur. Et rythmiquement, c’est dur à tenir, il faut une bonne main droite.

    B&G : De quel instrument tu jouais à l’époque ?

    ND : Je me suis mis à la guitare. Comme il y a de la place en banlieue, on a pu répéter très rapidement dans un local insonorisé. On pouvait essayer plein d’instruments. J’avais trouvé un vieil orgue Farfisa, avec deux étages et le pédalier. Je l’avais trouvé sur le Bon Coin, il appartenait à quelqu’un qui jouait dans les églises. Du coup, je me suis mis aux claviers. Et maintenant, je suis 100% claviériste. Je ne joue plus du tout de guitare, je suis passionné par les claviers.

    B&G : Tu avais pris quelques cours de musique ?

    ND : Oui, quand j’étais enfant, ma mère m’avait inscrit à quelques cours de piano. Donc j’ai appris le solfège. Mais ça m’a saoulé, j’ai tout oublié. Je jouais du Jerry Lee Lewis. Ce qui est drôle, c’est que j’ai repris une formation musicale assez tardivement, il y a trois ans, après dix ans en autodidacte.

    B&G : C’est avec ces copains que tu as formé ton premier groupe, les Brats ?

    ND : Oui, ça a tout de suite été les Brats. On se connaissait depuis l’école primaire. Youri, le batteur, habitait à deux rue de chez moi. Et puis des jeunes qui aimaient le rock dans ce coin-là, il n’y en avait pas d’autres que nous trois. En 2004, on a fait nos premières répétitions.

    B&G : Les Brats étaient très influencés par les Ramones. Ca s’entend !

    ND : Complètement. Déjà le nom du groupe, inspiré par la chanson « Beat on the brat ».

    B&G : Après les Brats, tu as sorti des morceaux en solo. Tu avais envie de jouer une musique qui sortait du carcan rock typique ?

    ND : Oui, j’ai des goûts assez variés. J’ai une grosse sensibilité pour la musique française et francophone en général. Ça m’obsède complètement.

    B&G : On le ressent dans ton premier EP Tout va bien. Dans une chanson comme « J’ai dû vous lasser », qui rappelle le Jacques Dutronc des débuts, ou encore Nino Ferrer.

    ND : J’adore ça. Cet EP était aussi très influencé par Jean-Claude Vannier.

    B&G : Pourquoi avoir arrêté les Brats ?

    ND : C’était un beau malentendu. On était juste trois copains qui voulaient tromper l’ennui. Et on a eu une forte exposition, qui n’était pas préparée, pas contrôlée, ni même voulue. On a joué dans des salles assez importantes. C’était une belle expérience, mais j’étais mal à l’aise. C’est pour cela qu’on n’a pas sorti d’album à l’époque : nous n’étions pas prêts pour sortir quelque chose de pertinent artistiquement. Après les Brats et «Tout va bien », mon premier EP en solo, j’étais complètement lessivé, c’était violent de se retrouver exposé dès l’âge de 14 ans. A l’arrêt des Brats, j’avais 17 ans et je voulais être autonome financièrement. Donc j’ai trouvé un boulot : je suis rentré dans une petite boîte en tant que stagiaire, je faisais des mises à jour de bases de données. Ca a duré dix ans.

    B&G : Et pendant ces dix ans, tu ne jouais plus de musique ?

    ND : J’en jouais, mais c’était léger. Je n’avais pas forcément beaucoup de choses à dire. Pendant cette période, j’ai organisé un festival dans mon quartier, avec Charles Hurbier de Métal Urbain. Ca s’appelait Rock sur Marne. C’était une belle expérience, ça m’a permis de voir une autre facette du monde de la musique, en tant que programmateur.

    B&G : Au bout de dix ans, qu’est-ce qui t’a conduit à vouloir refaire de la musique ?

    ND : Il a fallu que j’aille vraiment au bout du truc de bosser et de gagner ma vie. J’étais devenu commercial puis directeur des ventes dans la pub. C’était assez déprimant. Finalement, j’ai fait un burn out. Donc j’ai voulu changer. Et c’est là que je suis revenu à la musique. Grâce au FONGECIF, j’ai pu reprendre des études d’orchestration et d’arrangement.

    B&G : Pourquoi l’orchestration et l’arrangement ?

    ND : Je crois que je m’étais toujours senti illégitime dans ce que je voulais faire : j’avais un pied dans l’énergie du rock, mais j’avais en moi l’envie d’écrire des chansons très orchestrées. J’ai toujours aimé Francis Lai, qui est mort en début de semaine ; j’adore Gérard Manset, que tu ne peux pas jouer tout seul avec ta guitare. J’avais vraiment besoin d’avoir une connaissance approfondie de la musique, de l’étudier. Donc c’est ce que j’ai fait très sérieusement pendant deux ans, quasiment nuit et jour. A la fin de ma formation, j’ai pu écrire pour un orchestre harmonique de 40 musiciens. C’était une adaptation de Station To Station de David Bowie, j’étais très fier. C’est un travail extrêmement solitaire, tu écris tes partitions tout seul toute la journée, et à la fin, d’un seul coup, 40 musiciens prennent possession de l’œuvre, plus un public qui est là. C’est très impressionnant.

    B&G : C’est une démarche assez différente de celle d’un groupe de rock. Dans un groupe, celui qui compose est aussi celui qui joue. Là, en tant qu’arrangeur, tu dois laisser filer ton œuvre, tu deviens spectateur.

    ND : Un spectateur très actif quand même, car il faut bien communiquer avec les musiciens, se mettre à la place des autres et leur écrire des parties agréables à jouer : le violoniste, le joueur de tuba ou le percussionniste n’ont pas les mêmes attentes ni les mêmes problématiques. Il faut bien comprendre chaque problématique. Quand on étudie ça sur l’ensemble d’un orchestre, c’est très intéressant de le transposer dans un groupe de rock de quatre ou cinq musiciens. Avant, j’avais tendance à travailler dans l’expansion, à faire des choses compliquées et savantes. Maintenant je me dis qu’une œuvre n’a pas dix mille choses à dire : une œuvre a un propos et, pour bien servir ce propos, il faut lui faire prendre un seul chemin, pas deux. Aujourd’hui, je travaille dans le retrait, dans  l’épuration, plutôt que dans la surenchère.

    B&G : C’est cette formation qui t’a donné l’envie de refaire de la musique, de refaire des chansons pour toi, de rechanter ?

    ND : Oui. A un moment, je ne voulais plus prendre un instrument, je ne voulais plus chanter. Et cette formation est  vraiment à la base de mon envie de refaire de la musique, de remonter un projet en tant que chanteur, de refaire de la scène. Très clairement. Et, parallèlement, mes dix années passées à travailler dans le tertiaire m’ont beaucoup inspiré. J’ai assisté à des trucs qui sont le quotidien de millions de personnes mais dont on ne parle pas, sauf Michel Houellebecq. Dans « Extension du domaine de la lutte » par exemple. Quand j’étais commercial, pendant un déplacement, je lisais Houellebecq et ça me faisait du bien. Toutes ces phrases débiles du genre « on va les bouffer », tout ce pognon qui est dépensé pour des services qui ne servent en fait à personne. J’avais envie d’écrire là-dessus, je trouvais ça pertinent, sans pour autant vouloir le dénoncer. J’avais envie d’aborder ce sujet d’un point de vue poétique.

    B&G : Tu as devancé notre prochaine question. Les thèmes de ton nouvel EP L’Aventure nous ont effectivement fait penser à Houellebecq : le jeune cadre dynamique, plus si jeune et plus si dynamique, qui est seul et désabusé.

    ND : C’est ça. C’est une espèce d’observation de la vacuité du monde du tertiaire.

    B&G : Dans « L’aventure », ce côté western absurde, avec un faux duel, rappelle les phrases que tu as évoquées, du genre « On va les bouffer » ou « On est des winners ».

    ND : Quand on est commercial dans le tertiaire, on se met une telle pression pour réussir des ventes … C’est tellement premier degré que ça fait rigoler. J’avais envie de mettre du fun, je bouillonnais intérieurement de partager cette expérience solitaire et drôle.

    B&G : C’est très bien retranscrit, dans les musiques et dans les textes. Surtout dans « L’aventure » et dans « Silicon Valley », qui peuvent être vues comme les deux faces de ce monde du tertiaire.

    ND : Merci. J’ai appelé ça le blues du tertiaire. En fait, les chansons de l’EP s’inscrivent dans le cadre d’un concept album , qui est déjà maquetté et qu’on va commencer à enregistrer le mois prochain. Ça fait trois ans que je travaille sur ce projet.

    B&G : Ce qui est notable dans les cinq chansons de l’EP, c’est que chaque morceau a un style très différent. « L’aventure », dans un style musique de western. « Silicon Valley », avec un côté disco, avec des airs d’Abba. « Cœur Défense » ressemble à un reggae fatigué, un peu comme le ska déprimant des Specials de « Rat Race » ou de « Ghost Town ». « Assole Hero » sonne 60’s psyché. C’était une volonté de ta part ?

    ND : Je crois que je ne peux pas m’empêcher de faire comme cela. Je ne saurais pas dire à quel style j’appartiens. Et j’ai pris goût à travailler pour d’autres artistes, qui me donnent des cahiers des charges, qui me disent que tel morceau doit sonner comme ci et tel autre comme cela. J’ai conçu les chansons de mon album de cette manière. J’aime bien me donner des challenges sur chaque morceau. Par exemple, je voulais que « L’aventure » sonne comme du Vannier, avec des cordes. Puis aller vers de l’électro, du piano – voix, … Pour chaque chanson, je souhaite donner une couleur musicale différente. L’album sera très varié. Encore plus que l’EP. Ça m’a longtemps posé problème, je me demandais comment assumer cela, comment avoir une certaine unité. Et puis quand on écoute de la pop anglaise, on se rend compte que certains albums sont très variés. Comme Parklife de Blur, un de mes albums préférés.

    B&G : Dans l’EP, il y a deux duos. « Silicon Valley » avec Victorine. Et « Assole Hero » avec Lewis Evans, le chanteur des Lanskies.

    ND : C’est Gaël Etienne qui m’a mis en contact avec Victorine. Je joue sur scène avec lui et il est son arrangeur. J’aimais beaucoup ce que faisait Victorine. Je voulais écrire une musique pour une chanteuse à la France Gall, avec une voix aigüe, je voulais écrire une musique de fanfare entre Walt Disney et de la disco belge. Et ça a donné « Silicon Valley ». « Assole Hero » racontait la vie d’un commercial qui s’ennuie, je trouvais que ça faisait très anglais, j’avais besoin d’un chanteur de Liverpool !

    B&G : Tu as écrit les morceaux pour eux ?

    ND : Non, pas du tout. L’idée n’est pas de chanter en duo avec telle personne. C’est plus une recherche de couleur, une démarche de production. On a écrit « Silicon Valley » à deux, avec Victorine. Je trouvais ça intéressant de faire cohabiter mon austérité avec le côté explosif de Victorine. Je trouve qu’elle est peu une sorte d’Iggy Pop version manga.

    B&G : Quels sont les arrangeurs qui t’ont influencé ?

    ND : Je ne vais citer que des français. Gérard Manset, qui orchestrait tout et arrangeait lui-même ses morceaux. J’adore La Mort d’Orion. François de Roubaix, pour son inventivité, pour sa recherche de la note inattendue, de la bonne trouvaille au bon moment. Et un contemporain, Antoine Rault. Il avait arrangé mon premier EP, Tout va bien. Il joue dans plusieurs groupes : Forever Pavot, Lescop. C’est Antoine qui m’a donné l’envie d’arranger. Il essaye de surprendre. C’est une belle démarche quand on souhaite faire de la musique digne de ce nom. On vient tous d’un héritage, on a tous entendu beaucoup de musique, beaucoup de choses ont déjà été dites. Il faut se faire violence, quitte à se choquer soi-même, pour amener le discours dans une autre direction. Maintenant, dès que je suis mal à l’aise par rapport à ce que je suis en train de créer, je me dis que je suis sur le bon chemin. Que je suis en train de créer quelque chose d’original. Parmi les autres arrangeurs contemporains, j’aime aussi beaucoup Fred Pallem et Bertrand Burgalat.

    B&G : Et chez les anglo-saxons ?

    ND : Je suis très fan de Brian Eno. J’adore son travail avec les Talking Heads. Ils ont emmené la musique dans des contrées étranges. Il a aussi travaillé sur le dernier album de Rachid Taha. C’est un disque extraordinaire, un chef d’œuvre. D’ailleurs, mon nouvel EP est une tentative de faire du Brian Eno. C’est plus ou moins réussi, mais on a essayé.

    B&G : Tu as d’autres projets d’orchestration et d’arrangement ?

    ND : J’ai fait l’habillage musical d’une pièce de théâtre qui s’appelle Les Chansons de l’Espace, mise en scène par Anthony Breurec. J’ai aussi composé le thème du film Pacific Mermaid d’Alexis Barbosa. L’an dernier, j’ai fait un arrangement pour 17 musiciens de la chanson « La Quête » de Jacques Brel, en hommage à Jean Rochefort, qui devait jouer Don Quichotte au cinéma. On l’a présenté au Petit Bain, j’étais assez fier de cela.

    B&G : Ton EP L’Aventure sort bientôt ? Tu as prévu de le jouer sur scène ?

    ND : Oui, l’EP sort le 29 novembre chez la TEBWA. Et on va faire un concert à l’International le 29 novembre. Je serai à l’affiche avec Jo Wedin et Abel Chéret. Des dates sont en train de se monter. On va probablement aller à Bruxelles et à Lille.

    B&G : Tu continues avec le même groupe de musiciens ?

    ND : Oui. C’est une belle équipe : Gaël Etienne aux synthés. Baptiste Dosdat à la guitare. Vincent Pedretti (ndlr. : batteur du groupe Aline) à la batterie, qui a remplacé Rémy Faure (ndlr. : batteur du groupe Mustang). J’ai joué avec Rémy pendant 4 ans, j’ai beaucoup travaillé avec lui sur l’EP. Baptiste est très créatif, il met de la folie dans la musique. Gaël est un plasticien de la musique, il a une approche très graphique, il travaille les textures. Vincent est une brute en terme de rythme, il est d’une grande dextérité. Les gens avec qui je joue sont constitutifs de ma musique.

    B&G : On va terminer avec l’interview « Dernier Coup ». Dernier coup de rouge ?

    ND : Mes trente ans la semaine dernière

    B&G : Dernier coup de blues ?

    ND : Hier soir. Tout le temps.

    B&G : Dernier coup de gueule ?

    ND : Je ne pousse pas beaucoup de coups de gueule. Bon, je vais quand même en pousser un contre certaines salles parisiennes qui demandent beaucoup aux artistes : il faut être communicant, graphiste, caissier, éventuellement servir les bières.

    B&G : Dernier coup de cœur ?

    ND : J’en ai deux en ce moment. Coltrane. Et le pianiste François Samson qui joue Ravel. C’est un gros coup de cœur. Je l’écoute sans arrêt. Le concerto en sol majeur de Ravel, joué par un pianiste maudit et sublime, qui avait un toucher incroyable.


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