• Interview de Jean Felzine du groupe Mustang, 12 mai 2014.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    « Ecran Total », le rock 50's, Buddy Holly, la quête de la chanson parfaite, les concerts, l’avenir, … Jean Felzine, leader du groupe Mustang, a passé tous ces thèmes en revue pour Little John’s Pop Life. Tenez-vous prêts : la tournée visant à défendre leur troisième album commencera en septembre.

    Interview de Jean Felzine, du groupe Mustang (12 mai 2014)

    Crédit Photo : Laura Moreau

    Baptiste & Gérald : A la lecture de l’interview de Mustang dans Magic (numéro 180, mars 2014), on a l’impression que vous êtes à un moment charnière de l’histoire du groupe …
    Jean Felzine : Je trouve que notre dernier album [« Ecran Total »] est vraiment super, j’espère qu’on pourra le défendre pendant une longue période. On a plein de titres pour essayer d’entretenir la machine. Il faut écouter tout le disque, il n’y a pas un morceau qui écrase les autres. L’album est dense, c’est à la limite du défaut, mais je pense que c’est pile le bon dosage. On va dire qu’il est consistant. Après, quoi qu’il arrive, il y aura des changements à opérer d’une manière ou d’une autre. Attention, je ne parle pas du tout d’arrêter Mustang, au contraire : je pense qu’il reste plein de choses à faire avec ce groupe. Mais on les fera peut-être un peu différemment.

    G : Pour votre dernier opus, comment avez-vous fait le choix des titres et des singles ?
    JF : C’est toujours très compliqué. Pour cet album, on avait utilisé le morceau Ecran total comme un teaser, puis on a fait un vrai premier single avec Le sens des affaires. C’est un titre qui prend plutôt bien, on était ravis d’entendre les gens reprendre la chanson pendant notre concert au festival Passer le Périph' par exemple. On arrive à le passer en radio. Ceci dit, peut-être que ce n’est pas notre destin d’être un groupe grand public, peut-être qu’il faut que je me sorte cela de l’esprit !

    B : Le journaliste de Magic évoque même « la quête du tube »…
    JF : Ce n’est pas une recherche de succès, mais pour nous la chanson idéale est un tube. C’est la pop song parfaite. Un exemple : Don’t Make Me Over de Dionne Warwick est une chanson parfaite, et du coup c’est un tube, parce que c’est imparable, parce que c’est magnifique. C’est ce moment où l’exigence de composition, d’écriture, etc., est comprise par tout le monde ; elle écrase tout le monde. On écoute des choses un peu plus profondes, comme Suicide ou le Velvet, mais on aime beaucoup les choses très commerciales, comme Elvis. Globalement, nos influences c’est de la musique qui marche. Mais on n’est pas non plus dans une démarche cynique sur le plan de la composition, on ne se dit pas « Il faut qu’il y ait ci et ça… » pour que ça marche. On est plus sincère que ça 

    B : Tu parles souvent du morceau Anne-Sophie [issu du 1er album « A 71 »] dans cette catégorie de morceaux qui doivent être des tubes.
    JF : Oui c’est exact. Mais parfois cela vient par hasard… Prenez Charlie Rich par exemple, quand il a fait son premier énorme tube The Most Beautiful Girl, il avait déjà des cheveux blancs… En ce qui nous concerne, on arrive à durer, à sortir un troisième album. On a gagné un certain respect. C’est déjà pas mal, même si c’est vrai qu’on aimerait bien que ça aille un peu plus loin.

    G : D’où le fait que dans le dernier album il y a un côté plus pop  ?
    JF : Il y a cette impression parce que les chansons sont meilleures que les dans deux premiers albums, tout simplement ! C’est comme pour les Beatles par exemple : il y a des chansons bizarres que j’aime bien, mais je préférerai toujours leurs énormes tubes, qui sont des morceaux exigeants et qui parlent à tout le monde en même temps.

    G : Coup de foudre à l’envers pourrait être un tube.
    JF : Ça aurait été un tube en 1972, mais je ne sais pas si ce morceau est adapté au monde d’aujourd’hui (rires). On ne maitrise pas les codes de productions de la musique actuelle. On fait ce qu’on aime faire, à partir de ce qu’on aime écouter.

    B : Vous pensez qu’il y a une demande particulière du public pour un groupe comme Mustang ?
    JF : Oui probablement. Je pense aussi qu’on a toujours été tout seul dans notre registre : chansons influencées par le rock’n’roll, le rhythm and blues, en français. Je pense qu’on est toujours les seuls.

    G : Dans l’esprit, davantage que dans la musique évidemment, Mustang me fait penser aux Who.
    JF : J’adore les Who. On adore les mods, parce qu’on adore la soul… Peut-être que l’influence des Who se retrouve surtout sur le deuxième album, « Tabou » : l’énergie et les mélodies. Peut-être sur les paroles aussi, plus personnelles. Jan Ghazi, notre ancien producteur, est un ancien néo-mod des années 80, il nous avait logiquement un peu poussés vers cela…

    G : Et vous avez envie de sortir de la chanson pop ou pas ? Aller sur des choses plus psychés ?
    JF : Je ne sais pas. On l’a fait avec certains morceaux. Mais notre tendance naturelle est tout de même d’écrire des chansons de trois minutes, avec des couplets, des ponts et des refrains. On est tous d’accord sur cela dans le groupe, on a la même vision des choses. Nos albums restent des collections de chansons. Après tu peux arranger certaines chansons de manière un peu psychédélique. Prenez Strawberry Fields, c’est une super chanson, à la sauce psyché…

    B : On a aussi évoqué les Who car ils avaient fait une reprise de Summertime Blues d’Eddie Cochran. On imagine que ce dernier est une grande influence.
    JF : Pas tant que ça en fait ! Evidemment, Cochran fait partie d’une époque que j’aime bien, mais c’est celui que j’aime le moins. Attention : il a un talent fou, il chante très bien et joue incroyablement de la guitare, mais ce n’est pas un type qui m’émeut. Je trouve que c’était original, je pense qu’il aurait fait de superbes choses s’il avait vécu plus longtemps [Eddie Cochran est mort à 21 ans dans un accident de voitures]. J’écoute beaucoup plus Buddy Holly qu’Eddie Cochran à vrai dire, je le trouve plus brillant. C’est fabuleux Buddy Holly ; les chansons étaient très en avance sur leur temps. Ses morceaux me touchent beaucoup.

    B : Comment en êtes-vous arrivés à ces références pas forcément évidentes au début des années 2000 ?
    JF : Nirvana est le premier groupe qu’on a vraiment écouté. Dans ses interviews, Kurt Cobain ne cessait de parler de la simplicité, du punk, etc. On s’est intéressé au punk, des chansons courtes, efficaces. De fil en aiguille, on a écouté les Stooges, qui parlaient pas mal de Little Richard et Jerry Lewis. On allait à la médiathèque pour emprunter des CD de Gene Vincent, de Buddy Holly, d’Elvis. Nos influences ne viennent pas du tout de nos familles. C’est même plutôt une chance, on avait l’impression de découvrir un truc ! J’étais persuadé d’être le seul mec au monde à écouter Roy Orbison, alors qu’en fait il a vendu des millions de disques ! Un pote nous avait fait écouter un vinyle de son père : c’était un live de Jerry Lee Lewis à Hambourg… C’est le premier truc rock’n’roll qu’on a écouté, dans le sens sauvage, mais simple aussi. Avec Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, tu arrives à comprendre comment sont faites les chansons, et petit à petit, tu intègres les évolutions…

    B : Tout cela s’est déroulé à Clermont, la ville d’origine de tous les membres de Mustang. Tu peux nous parler un peu de la scène musicale clermontoise ?
    JF : Elue capitale du rock en 2008 ! Il y avait bien entendu un microcosme de musiciens, de bars ; dans une petite ville ça peut suffire à créer quelque chose. Il y avait beaucoup de groupes de garage moderne, un peu bourrins, influencés par Lords of Altamont par exemple, ou des groupes suédois comme The Hellacopters. Nous on était un peu à côté de ça !

    B : Votre premier morceau ?
    JF : Ce devait être En Arrière-En Avant ou Je m’emmerde ; j’avais 16 ou 17 ans. Je venais de commencer la guitare, et j’ai écrit des morceaux tout de suite, j’étais très présomptueux (rires) ! Après, j’ai toujours du mal à improviser un solo ; les seuls solos que je fais sont en général écrits. On a trouvé dans le rock 50's une façon plus excitante de jouer, par rapport aux gros accords barrés de la fin des années 90. Ceci dit j’ai toujours été beaucoup plus obsédé par le fait de bien chanter que de jouer de la guitare !

    B : Les prochaines échéances pour Mustang ?
    JF : On sera le samedi 07 juin à Angers, au Chabada. Et la vraie tournée commence en septembre.

    G : Comment organises-tu ton temps, entre Mustang et ton duo avec Jo Wedin ?
    JF : Pour le moment, on n’est pas surbookés ! C’était plus serré quand on enregistrait l’album. Le problème vient plutôt du fait qu’on sort trop ! Ce qui est cool aussi, c’est qu’il n’y a pas de concurrence entre ces deux projets.

    B & G : Pour finir, un petit clin d’œil à Marc Desse : comment as-tu trouvé le festival qu’il a organisé à Villejuif le dimanche 4 mai ?
    JF : Le festival Passer le Périph' a été une superbe initiative de Marc. On se connait tous, il y avait une super ambiance, bien qu’il n’y ait pas de cohérence musicale entre tous les groupes qui jouaient ce jour-là. Il n’y a pas de courant précis, si ce n’est l’idée de faire des chansons mélodiques en français, plus pop peut-être, l’axe est ici je pense.

    B & G : Dans la nouvelle scène pop française, même si elle est très éclatée, il y a quelque chose de commun : des influences américaines ou anglaises assumée, des textes en français.
    JF : Oui et il y a un appétit pour ce mouvement à l’étranger je pense. Les gens aiment bien la sonorité, même s’ils ne comprennent rien. Ça peut toucher malgré tout, le français fait rêver ! Après il ne faut pas non plus donner dans le cliché et se balader en béret (rires) !


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  • Concerts de Superets et Pendentif - Niort (le CAMJI) - 16 mai 2014.
    Par Gérald Petitjean.

    Dès qu'on avait vu que Superets et Pendentif allaient partager la scène du CAMJI un vendredi soir de mai, on s'était dit : "Banco pour un week-end dans les Deux-Sèvres". Eh bien, les quatre heures de route depuis Paris valaient vraiment le coup : nous avons assisté à deux excellents concerts de French Pop.

    Celui de Superets d’abord, un des groupes phares du label Entreprise, avec les imparables 160 caractères pour te dire adieu, Veuve mécanique, Les histoires sans fin, et le très bon morceau de westerntronique Grand Canyon. Et merci pour la dédicace du 45 tours « L’amour / Parachute » : Hercule, votre plus grand fan canin, sera content ! On attend avec impatience d’autres dates et un album.

    Pendentif a ensuite conquis le public du CAMJI avec leurs pop songs parfaites, issues de leur premier album « Mafia Douce » : Pendentif, Jerricane, God save la France, 1-er juillet, La nuit dernière, Embrasse-moi, ... On retiendra aussi une très belle reprise du Que vais-je en faire de Jérôme Echenoz. Rendez-vous à la Fête de la musique à Paris (21 juin, Place Denfert-Rochereau) !


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  • Interview de Michka Assayas, pour la sortie du Nouveau Dictionnaire du Rock (5 mai 2014, Paris).
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de Michka Assayas pour la sortie du Nouveau Dictionnaire du Rock (5 mai 2014)

    Michka Assayas est critique rock et romancier. En écrivant pour Rock & Folk, Les Inrockuptibles, Le Monde de la Musique ou VSD, et en animant ou en participant à des émissions de radio telles que « Subjectif 21 » et « C’est Lenoir », il a véritablement milité pour une certaine idée de la musique et a défendu des groupes tels que les Beach Boys, les Smiths, Joy Division et Echo & the Bunnymen. En 2000 sort le Dictionnaire du Rock dont il a été le chef d’orchestre. Quatorze ans plus tard, nous avons rendez-vous avec Michka Assayas à l’occasion de la parution du Nouveau Dictionnaire du Rock. Une heure et demie d’échanges passionnants et passionnés autour d’une vie rock et pop.

    Interview de Michka Assayas pour la sortie du Nouveau Dictionnaire du Rock (5 mai 2014)

    Gérald : Dans la première édition du dictionnaire du rock, les Beatles et les Rolling Stones étaient en couvertures : deux groupes anglais, deux groupes mythiques des années 60. Pour cette nouvelle édition du dictionnaire du rock, ce sont deux Américains, un noir et un blanc (Jimi Hendrix et Kurt Cobain), qui sont en couvertures. Pour nous, c’est un retour aux sources et cela résume très bien ce qu'est le rock : le croisement de la musique noire avec la révolte des jeunes blancs.
    Michka Assayas : Exact. Dans le cas d'Hendrix, il est américain mais il a été révélé en Angleterre et son manager était anglais (un ancien membre des Animals). Je pense que c'était important d'avoir un musicien noir en couverture (du premier tome, de A à L) car le rock est en grande partie dérivé de la musique noire (blues, soul, …). Et puis, il y a aussi un lien presque familial avec Hendrix. En effet, mon fils, quand il avait 17 ans, était obsédé par Hendrix ; et je lui demandais pourquoi il n'écoutait pas des trucs de son âge, des groupes de son époque. Mais il n'y avait rien à faire : il restait obsédé par Hendrix. Je crois qu'Hendrix est quelqu'un qui parle aux gens très jeunes : il appartient à un âge d'or, à une période mythifiée, qui, plus elle s'éloigne, plus elle paraît fantastique.
    Et pour l'autre tome (de M à Z), je voulais quelqu'un qui représente le rock d'après l'âge d'or. Et Cobain est le dernier gars dont on trouve la tête sur des T-shirts dans les boutiques à Saint-Michel. Je ne vois pas qui d'autre aura sa tête sur des T-shirts. Pas Jack White, pas Eminem, … Et les années 90, c'est l'âge du chaos, de la destruction, de l'effondrement. Ca paraissait intéressant d'avoir les deux bouts de la chaîne. Il y a aussi un point commun à ces deux photos : le côté accablé, qui entre en résonance avec notre époque.

    G : Il y a aussi une dimension sacrée, voire christique dans ces deux photos. Ils sont allongés, les bras en croix.
    MA : Oui, c'est vrai. Ce sont aussi deux artistes qui sont morts très jeunes, à 27 ans. Mais il y a une partie consciente et une partie inconsciente dans le choix de ces photos. En fait, on m'a proposé des photos et j'ai choisi ces deux-là. La photo que j'ai trouvée moi-même, c'est celle du coffret. Déjà il y a quinze ans, je voulais que ça représente le public, la communauté. Je ne voulais pas d'un groupe en particulier, ni d'un cliché du rock, par exemple un groupe sur scène dans une posture triomphante. Dans la première version du dictionnaire, j'avais choisi une photo des fans qui attendaient les Beatles à l'aéroport de San Francisco, avec les policiers qui empêchaient la jeunesse de partir à l'assaut du vieux monde. Pour le nouveau dico, j'ai retenu une photo d'une foule grunge, avec un slam, qui assiste à un concert de Mudhoney en 1988. D'ailleurs, j'ai demandé à mon fils s'il avait une idée de l'époque de cette photo. Et il m'a répondu que ça devait être avant sa naissance car il n'y avait pas de téléphones portables ! Bien observé.

    Baptiste : Vous parlez beaucoup de votre fils. Il est très branché musique comme vous ?
    MA : Oui, il a 23 ans. On a fait de la musique ensemble. Comme tous les parents avec leurs enfants adolescents, on avait une relation un peu conflictuelle et je ne savais pas trop comment lui dire que je n'étais pas d'accord avec ce qu'il faisait. Un copain m'a alors conseillé de faire quelque chose avec lui, pour parler le même langage. Et je me suis dit : tiens, si je faisais de la musique avec lui. Je suis un musicien absolument désastreux mais j'avais des idées de chansons. On s'est donc mis à faire de la musique ensemble, lui à la batterie, moi à la basse, accompagnés d'un copain guitariste, et je lui ai mis le pied à l'étrier. A l'époque, je m'amusais beaucoup avec GarageBand et ça lui a aussi donné le goût de l'électro. D'ailleurs, il commence à faire des morceaux et je suis très curieux d'entendre ce qu'il va faire. Il a un peu peur de mon avis. Au moins, j'ai réussi à me faire respecter sur ce plan-là (rires).

    B : Avant de jouer de la basse, vous avez été musicien ?
    MA : Pas vraiment. J'ai pris des cours de guitare classique. Mais c'est un instrument très difficile et je n'étais pas patient, je n'avais pas le sens du rythme. Après, je grattais des accords de Dylan ou des Beatles sur ma guitare.

    G : Pourquoi, ou peut-être plutôt comment, une vie rock, de Rock & folk à ce dictionnaire du rock ?
    MA : Je ne sais pas vraiment. On explique ces choses après coup. Il ne se passait pas grand-chose là où j'habitais, dans un village près de Paris. On s'emmerdait et cette musique pop qu'on entendait à la radio m'a excité. Les chansons des Beatles, des Stones et de Dylan me rendaient fou. Il y avait aussi la spécificité de la région dans laquelle on habitait : une forte présence de l'extrême gauche, avec ce côté militant et contre-culture. J'étais aussi façonné par les goûts de mon frère aîné et de ses copains : la musique underground, qu'on appelle aujourd'hui le rock progressif, avec des groupes comme Gong et Caravan, et tout un courant qui accompagnait une agitation politique libertaire, opposé à l'organisation traditionnelle de la société, qui nous disait qu’il fallait tout faire péter. J'étais fasciné par les gens qui prenaient des drogues alors que je n'en prenais pas. C'était l'idée d'une autre vie, alternative, subversive. Et la musique accompagnait cela. Je n’étais pas très connaisseur, je ne savais pas trop comment se faisait la musique, ça me semblait très lointain, presque d'une autre planète. Ensuite, le punk et le mouvement qui est arrivé après ont été très importants : c'étaient des groupes qui me parlaient, c'était ma génération, et pas les groupes que les grands frères écoutaient. J'étais complètement fanatisé : je lisais le NME et le Melody Maker, j'achetais des disques en import, je cherchais des trucs que personne ne connaissait. Comme je ne savais pas trop quoi faire de ma vie et que j'aimais écrire, j'ai commencé à rédiger des articles avec un côté militant, presque comme si j'étais en mission, pour faire comprendre aux gens qui écoutaient Dire Straits ou Police qu'ils devaient absolument écouter Joy Division. J'ai donc démarré au Monde de la Musique et à Rock & Folk à 21 ans. J'ai fait un reportage à Londres en 1980, au cours duquel j'ai connu Young Marble Giants et U2, qui sont un peu les deux extrémités du spectre. Même si à l'époque, c'était le même mouvement, avec Psychedelic Furs, Monochrome Set, Delta 5, … Et tous ces groupes, même U2, jouaient devant trente personnes.

    B : En parlant de la presse musicale, pensez-vous qu'elle a beaucoup changé depuis vos débuts ?
    MA : On ne peut pas comparer l'époque actuelle avec ce qui s'est passé il y a trente ans, car on a changé de monde. Au début des années 80, on écrivait parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Je ne pensais pas à créer un fanzine, et il existait des journaux comme Rock & Folk ou Libération qui étaient des journaux de la contre-culture mais qui avaient des forts tirages. Ce qui était un peu compliqué, c'était qu'il y avait dans ces journaux des gens qui étaient issus de l'âge d'or du rock, qui étaient allés à Woodstock, qui avaient vu Hendrix, Clapton, les Stones, etc. Ils étaient très accrochés à leur jeunesse, qui était encore récente, mais il faut reconnaître qu'ils étaient très ouverts à ce que des gens comme nous (Francis Dordor, François Gorin, Hugo, Cassavetti, Laurence Romance, …) puissent s’exprimer. J'ai eu de la chance de croiser des gens qui m'ont fait confiance, même s'ils ne comprenaient pas très bien de quoi je voulais parler et qu’ils ne connaissaient pas les groupes que je souhaitais faire découvrir. On ne pouvait pas s'exprimer ailleurs : il n'y avait pas de rubrique « rock » dans les grands journaux ou à la télé. Parfois, il y avait un article sur le punk dans le Monde, mais c'était plus l’aspect social et sociologique qui les intéressait. A l'époque, tout cela sentait encore le soufre. Quelques groupes étaient connus du grand public, les Clash commençaient à faire parler d'eux, mais la plupart des groupes restaient underground et minoritaires. On luttait pour avoir des cases qui nous permettaient de parler des ces groupes. Aujourd'hui, avec Internet, tous les types de musique sont devenus plus accessibles.

    G : Il me semble que ce qui a beaucoup changé avec internet, YouTube et le MP3, c'est que la musique est devenue instantanée. Dans les années 80 et 90, il fallait suivre tout un rite initiatique avant de pouvoir écouter un disque chez soi : lire la presse musicale spécialisée (parfois britannique, comme le NME et le Melody Maker), écouter les émissions de Bernard Lenoir, commander un disque (souvent en import), … En fait c'était un temps long.
    MA : Tout à fait. Il arrivait qu'on lise une chronique sur un disque sans pouvoir l'entendre avant un mois. Cela créait un autre rapport à la musique, une attente, une rêverie. D’ailleurs, des gens étaient parfois déçus à l'écoute d'un disque sur lequel ils avaient fantasmé.

    G: Il y avait un côté sacré ou religieux dans ce rapport à la musique. On avait presque l’impression d’une paroisse qui se réunissait.
    MA : Oui. Ca me rappelle quand j'allais tous les samedis, de manière rituelle, au magasin New Rose, à Paris, près d'Odéon. J'y achetais le NME, je retrouvais des figures familières. C'est d'ailleurs quelque chose qui a beaucoup changé dans la musique : avant, et je parle même de la génération avant la mienne, il fallait se déplacer, aller dans des endroits particuliers pour acheter un journal ou un disque, pour rencontrer des gens qui connaissaient. Paul Mc Cartney raconte que, quand il était gamin, il avait pris le bus pour aller dans le nord de la ville pour voir un gars qui connaissait un accord de guitare que lui ne connaissait pas. Les gens étaient obligés d'aller dehors, de se déplacer, d'aller au cinéma, etc, car ils s'ennuyaient chez eux. Il n'y avait pas internet ni les DVD, il n'y avait qu'une télé sinistre qui n'émettait que le soir. Nous sommes passés d'une époque du voyage et du déplacement à une époque de l'instantané assis sur sa chaise.

    B : Et vous, quelle est votre façon d'écouter de la musique actuellement ? CD, vinyle, MP3 ?
    MA : Je ne suis pas spécialement attaché à un support particulier. Dans les années 70, j'ai eu de très grandes émotions musicales avec des transistors qui avaient un son pourri. J'ai tout de même un problème avec le MP3 ; c'est tellement compressé que ça donne un son hyper sourd qui ne prend pas aux tripes et qui ne donne pas envie de bouger. J'aime bien écouter des vieux vinyles de Steely Dan par exemple, mais je pense que j'aurais les mêmes émotions en écoutant le CD. Je ne suis pas un fétichiste du vinyle. Pour moi, l'idéal, maintenant, c'est d'écouter de la musique en voiture, sur des trajets longs. Et, quand je réécoute un vinyle, je suis déçu car il faut trop vite retourner le disque pour passer l'autre face. Cela dit, ce qui me frappe quand même à l'écoute des vieux vinyles, c'est la chaleur du son et le fait qu'il n'y a rien d'inutile, alors que, dans le CD, il y a parfois une profondeur inutile, avec presque trop de sophistication. Neil Young disait d'ailleurs que le vinyle permettait de voir un paysage à travers une fenêtre, et que le CD, c'était comme être face à une mosaïque et voir un détail à la fois. Dans un CD, on est parfois déstabilisé par la précision extrême d'un détail qui nous empêche d'écouter ça comme un ensemble.

    G : On va revenir au dictionnaire du rock. Mais on ne va pas vous poser les questions du style « Pourquoi le dico du rock, aujourd'hui, avec internet ? ». Pour nous, la question n'a pas lieu d'être : il est normal et naturel d'avoir un dico du rock. Le dico du rock, c'est autre chose qu'une simple navigation internet.
    MA : Je le crois aussi. Il y a quinze ans, quand on voulait trouver la date de naissance de Keith Richards, il n'y avait pas d'autre moyen que d'ouvrir le dictionnaire du rock. C'est vrai qu'aujourd'hui, avec internet, on peut trouver cette information autrement. Mais, si on veut savoir quelle est l'histoire complète des Stones, avec un point de vue qui les compare avec d'autres groupes de la même époque, qui compare leurs albums et leurs différentes périodes, avec aussi le côté humain et les histoires qui vont avec, internet ne suffit pas.

    G: Dans la première version du dico du rock, j'avais d'ailleurs beaucoup aimé ce côté recueil d'histoires. J'avoue que je lis régulièrement le dico en l'ouvrant au hasard et je tombe sur des histoires souvent extraordinaires. Il y a un côté « Mille et une nuits ».
    MA : Il n'y a rien qui puisse me faire plus plaisir que cela. Les « Mille et une nuits » sont mon livre préféré. Je l'avais découvert à l'âge de onze ou douze ans et j'avais été émerveillé : on s'y perd comme dans un labyrinthe, avec une histoire qui est emboîtée dans une autre qui est emboîtée dans une autre, etc, avec aussi un mélange de réel et de merveilleux. Et l'histoire du rock, c'est tout cela : des gens à moitié fous qui prennent des drogues qui les transforment en super-héros, comme Clark Kent qui devient Superman.
    Pour l'anecdote, Emmanuel Carrère, qui est un écrivain très connu et qui s'intéresse très peu au rock, m'avait fait un très beau compliment sur le dico : il m'avait dit qu'il le lisait aux toilettes et qu'il découvrait des histoires incroyables sur des types dont il n'avait jamais entendu parler.

    G : Un autre point intéressant dans le dico, c'est d'avoir rassemblé toutes les petites chapelles du rock, qui n'ont pas l'habitude de se parler : le rock classique des 50's et 60's, la soul, l'indie pop, la variété française, le hard rock, etc. Et je trouve vraiment amusant de lire les fiches de groupes issus de mouvements que je ne connais pas du tout et dont je n'ai a priori rien à faire.
    MA : C'est pareil pour moi. J'ai eu exactement le même plaisir en écrivant le dico : « Ca alors, il a joué avec Truc, il vient de la même ville que Machin. » Du coup, on se rend compte qu'il y a beaucoup plus de rapports entre des musiques et des groupes très différents que ce qu'on imagine. Et on s'aperçoit aussi que les gens ont choisi un style de musique parce que leur voisin en jouait, qu'il n'y a pas forcément de vision au départ, que tout cela est souvent lié au hasard et aux rencontres. C'est très fragile la musique. Pourquoi autant de groupes ont du talent pendant un an ou deux ans et après ça s'arrête ? Il y a un mystère. C'est comme des gens qui attendent les courants. Parfois ils les trouvent, parfois ils ne les trouvent jamais. Et parfois, ils les perdent et ne les retrouveront plus jamais. Dans le rock, c'est souvent comme le gars qui joue au casino pour la première fois et qui gagne avec la chance du débutant, puis qui passe sa vie à y retourner et à perdre.

    B : En Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, les groupes sont souvent montés par des jeunes qui viennent de milieux populaires, qui n'ont pas forcément fait d'études, qui ne connaissent pas la théorie musicale. Et on a l'impression que quand ces groupes deviennent très techniques et académiques, leur musique devient ennuyeuse.
    MA : Tout à fait. Je pense que le plus intéressant dans le rock, c'est la phase d'apprentissage. Les gens ne se rendent pas compte que les Beatles, à leurs débuts, n'étaient pas bons. Ils ont appris avec George Martin, un peu comme s'ils étaient à l'école. Par exemple, ils entendaient par hasard des trompettes sur un air de Bach, ils allaient voir George Martin et lui demandaient comment faire pour avoir la même chose sur leurs chansons. En fait, ils tentaient des choses, avec un côté « gamineries ». Alors que des professionnels de la musique leur auraient conseillé de ne surtout pas faire cela : « Non, non, non. Ce n'est pas le protocole. On n'a jamais fait ça. Ca ne doit pas être fait comme ça. ».

    B : Pour mettre à jour le dico du rock, vous avez beaucoup utilisé internet ?
    MA : Oui. C'est un peu comme une armée de documentalistes qui travaillent à l’œil. Le problème avec internet, c'est surtout qu'on ne sait plus s'arrêter : il y a toujours un lien qui envoie vers un autre site. Il faut faire comme quand on visite un musée : soit on y passe des jours entiers, soit on se donne 45 minutes en allant à l'essentiel. Et instinctivement, je sais ce qui m'intéresse dans la musique, j'essaye d'aller droit au but. Je suis très pointilleux sur les éléments biographiques, en particulier en ce qui concerne les débuts des groupes : le background familial et géographique, comment ils se sont rencontrés, comment ils en arrivent à enregistrer une première maquette au bout de plusieurs mois, voire de plusieurs années, … Ensuite, les histoires deviennent souvent plus banales : ils signent un contrat professionnel, ils ont un premier succès, ils sont catalogués dans un genre, parfois ils restent dans ce genre, … Il est quand même rare que la trajectoire d'un groupe sur quinze à vingt ans soit d'un intérêt égal. C'est pour cela que je me focalise sur les sources, à comprendre d'où ça vient. Parfois, je n'ai pas réussi à rassembler tous les éléments que je souhaitais. Il reste encore des choses à améliorer pour la prochaine édition, si elle existe un jour (rires).

    G: Les sources peuvent parfois être dures à trouver à cause des artistes eux-mêmes, qui inventent des histoires et construisent leurs propres mythes.
    MA : Bien sûr. Dylan par exemple, qui a raconté qu'il avait écrit sur le livre d'or de son lycée : « Parti rejoindre le groupe de Little Richard. »

    B: Vous savez s'il y a un équivalent du dictionnaire du rock dans le monde anglo-saxon ?
    MA : Je ne crois pas. Pour deux raisons. La première, c'est que nous, les Français, aimons analyser, classifier, comparer, comprendre. La seconde, c'est que nous ne sommes pas familiers de ces racines du rock, qui sont élémentaires pour des américains ou des britanniques.

    B : On va maintenant aborder un sujet qui, apparemment, a été l'objet de nombreux débats : le rock français.
    MA : Ah oui ! Alors là, personne n'est d'accord. Il existe plusieurs approches. En fait, il y a un vieux schisme qui remonte aux années 60, que j'ai connu quand j'étais encore enfant : les yéyés contre les rockers, la variété contre le rock. Ceux qui chantaient en français étaient considérés par les puristes comme faisant de la variété pourrie. Et inversement, les fans de Johnny Hallyday et d'Eddy Mitchell considéraient que ceux qui n'écoutaient que des chansons en anglais étaient snobs et élitistes. Je crois que cette manie de vouloir se distinguer est problématique en France. Vous faisiez auparavant allusion aux origines modestes de nombreux groupes anglais, et ça ne les empêche pas de faire une musique qui est loin d'être primaire et d'écrire de la poésie. Joy Division, les Smiths, … En France, on en est toujours à savoir si vous avez fait les bonnes études, si vous avez le bon diplôme, etc.

    B: En Grande-Bretagne, la culture ouvrière est vraiment devenue LA culture, alors qu'en France, la culture populaire est soit ringardisée, soit extrême-droitisée.
    MA : Exactement. Regardez tout simplement la résonance du mot folklore dans les deux langues, en France et dans le monde anglo-saxon. Dans les îles britanniques et aux Etats-Unis, le folk, qui est la source de la musique populaire, est valorisé : depuis la fin du XIXème siècle, il y a des collecteurs de chansons populaires ; les Lomax père et fils sont allés chercher des chanteurs de blues dans les pénitenciers et dans les fermes ; les folkloristes font des thèses universitaires. Et tout ce mouvement a donné Dylan. En France, qu'est-ce qu'on a ? On dit que c'est « folklo » : en gros, soit c'est passéiste et ringard, soit on tombe dans la revendication régionaliste. Alors qu'il y a des chansons traditionnelles françaises qui sont fantastiques. Par exemple, j'adore Agnès Gayraud (La Féline) : elle a fait une version d'une vieille chanson française, « Le roi a fait battre tambour ». C'est une pure merveille, simple et mystérieuse. Quand je dis à des gens de mon âge que mon style de musique préféré est le folk, ils font la grimace et crient au secours en pensant au Roi Dagobert. Alors que moi je pense à des chansons de marins et de fantômes, sinistres, angoissantes. D'ailleurs, j'ai très envie de faire ce genre de chansons de manière moderne.

    G: Ca me fait penser à Tarnation, un groupe américain que j'adore, qui a superbement revisité la country.
    MA : Oh oui ! Paula Frazer a fait récemment des trucs magnifiques. J'ai dû me battre pour que Tarnation reste dans le dictionnaire : l’auteur voulait le virer mais c'était hors de question ! Ce groupe est méconnu et sous-estimé, mais génial. C'était à la même époque les Red House Painters. J'ai vu Mark Kozelek en concert il y a quelques mois et c'était magique.

    B: Actuellement, en France, il y a un mouvement très intéressant, avec des groupes qui se réapproprient la langue française, avec une poésie simple et très touchante, sans faire de la chanson à textes ou de la chanson engagée.
    MA : Oui, c'est vraiment dans l'air. Mais c'est très difficile d'écrire des chansons simples. Ca demande beaucoup de travail car le français est une langue très analytique, très intellectuelle. Et puis j'ai toujours eu du mal avec la tradition française des paroles pompeuses car c'est très artificiel.

    G : Vous êtes critique de rock mais aussi écrivain et romancier. Quelle différence voyez-vous entre le rock et la littérature ?
    MA : Pour écrire, on est seul. Donc on est obligé de rester dans sa tête, d'objectiver ce qu'on a écrit, de prendre de la distance et de voir si ça prend vie. Quand j'ai écrit mes premiers récits, c'était presque à défaut de faire de la musique. « Les Années Vides » était presque un poème en prose. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard que ce livre soit réédité par Le Mot et le Reste, qui publie beaucoup de livres sur la musique. Ensuite, j'ai essayé d'écrire des choses plus amples, que j'espérais plus ouvertes sur un public plus large, qui ne connaît pas la musique. C'est assez dur d'analyser ce qu'on fait. Je fais de mon mieux : j'adore écrire, j'adore l'effet que les phrases produisent, j'adore émouvoir. Mes romans ne sont pas hyper populaires ; je doute qu'ils traverseront les années. Dans vingt ou trente ans, ils n'intéresseront probablement qu'une minorité d’amateurs ou d’historiens. Ce qui est certain, c'est que le dictionnaire du rock va rester car il y a une harmonie parfaite entre la forme et le propos : c'est un livre romanesque, accessible à tous, et ayant une utilité. Et avec les coauteurs, nous ne nous sommes pas pris pour des écrivains. C'est de la littérature modeste. Mais c’est quand même de la littérature.

    G: Un des points forts du dico du rock, et qui est selon moi un vrai travail d'écrivain, c'est qu'il suscite les discussions : « Pourquoi tel groupe n'y est pas ? Pourquoi Machin a droit à plus de pages que Truc ? »
    MA : Oui, c'est un livre vivant. C'est le but de l'art : ça ne doit pas être mis dans une vitrine pour être contemplé. Ca doit faire réagir et créer un courant de vitalité.

    G: Pour terminer l'interview, quelles sont les couvertures que vous verriez pour la V3 du dictionnaire ?
    MA : C'est un peu tôt (rires). Je vais faire une allusion que je ne ferais pas à tout le monde mais je pense que vous allez comprendre. J'ai pensé aux pochettes des disques des Smiths : pendre des photos liées à la culture populaire, mais en les sortant de leur contexte, en les rendant mystérieuses et poétiques. En fait, la question n'est pas qui mettre en couverture, mais plutôt comment. D'où l'idée, pour ce nouveau dictionnaire, de mettre en couvertures des images de gens vaincus. Car nous sommes dans une période au cours de laquelle les gens sont vaincus. Et c'est peut-être en leur faisant prendre conscience de cette réalité qu'on pourra les encourager à sortir de cet état. C'est vraiment comme cela que j'avais pris la musique de Joy Division et des Smiths : l'industrie est morte, la culture ouvrière est morte, l'âge d'or de la musique est terminé, les lendemains qui chantent n'arriveront pas, donc célébrons cette fin des temps. Et de là beaucoup de choses sont nées : des gens ont commencé à écrire et à faire de la musique.


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  • Interview de Jo Wedin et Jean Felzine, 12 mai 2014.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de Jo Wedin et Jean Felzine (12 mai 2014)

    Entre deux concerts, au festival « Passer le Périph’ » le 4 mai et au Gibus Café le 13 mai, nous avons rendez-vous avec Jo Wedin et Jean Felzine pour discuter de la naissance de leur duo, de leurs influences américaines 50's et 60's, et de leur futur (sortie d’un album ou d’un EP, concerts, …). Une belle rencontre avec des musiciens talentueux et passionnés, et dont le duo n’a pas d’équivalent en France.

    Jo Wedin et Jean Felzine sont demain soir (mardi 13 mai, à partir de 20h30) au Gibus Café (127 rue Saint Maur, 75011 Paris). Proitez-en pour aller les découvrir sur scène !

    Baptiste & Gérald : Johanna, depuis quand vis-tu en France ?
    Johanna Wedin : Ça fait dix ans que je suis en France, je suis venue pour changer de vie en fait. J’ai aussi habité à New York un an. Mais je suis restée en France pour la musique. J’avais un autre projet musical auparavant, qui s’appelait MAI. J’ai sorti un album en 2007, et deux EP. Toute la création musicale s’est faite en France ; mais la musique faisait déjà partie de ma vie en Suède. J’ai appris à jouer de plusieurs instruments : j’ai joué du saxo quand j’étais petite, un peu de piano, donc j’ai toujours fait de la musique, mais je n’ai jamais eu de groupe là-bas.

    B&G : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
    Jean Felzine : Johanna a arrêté son groupe MAI. Elle rêvait de faire des chansons en français.
    JW : J’avais fait seulement une reprise en français sur un de mes EP [Si tu doispPartir, de l’EP « Silent Seduction », 2010]. Je pensais à faire davantage de morceaux en français depuis longtemps, mais comme j’écris en anglais, c’était très dur de se lancer. Et puis j’adorais ce que faisait Jean, je l’ai contacté, et il a écrit une chanson qui correspondait vraiment, exactement, ce que je voulais !
    JF : Oui c’était la chanson Mets-moi dans ta Valise. Et nous nous sommes rencontrés aussi grâce à la manageuse de Jo, qui est la copine de l’ingé-son des La Femme avec qui on tournait à ce moment-là. Donc nous nous sommes vus, on a parlé de musique pendant toute une soirée. Et deux semaines après j’avais fait Mets-Moi dans ta Valise, et ça collait parfaitement avec ce que Jo avait en tête. Tout cela s’est déroulé pendant l’été 2012.

    G : Chanter en français était vraiment un souhait très fort ?
    JW : Oui tout à fait. Le français est une langue qui me fait rêver, et puis j’habite en France ! Il y a déjà beaucoup de groupes ici qui chantent en anglais ; de même en Suède, presque tous les groupes font des chansons en anglais. Donc le fait d’avoir le choix de chanter en français était formidable. Je connais aussi beaucoup d’artistes qui chantent en français, comme Françoise Hardy ou Serge Gainsbourg. Ce sont des artistes qui sont connus en Suède, et qui me faisaient rêver.

    B : Le retour du français dans la pop, vous en pensez quoi ?
    JF : Cela me réjouit. Et en plus c’est revendiqué maintenant : nous sommes fiers de chanter en français, parce que c’est notre langue, parce qu’elle est belle. Dans le cas de notre duo, c’est un peu différent car ce n’est pas la langue natale de Jo, mais on a aussi des morceaux en anglais su scène.
    JW : Oui les morceaux sont tout de même plus abordables pour moi sur le plan de l’écriture quand ils sont en anglais. Au tout début, Jean faisait tout, maintenant, on co-écrit. Souvent j’apporte une trame narrative aussi.
    JF : C’est le cas par exemple sur Les Hommes ne sont plus des Hommes. Je ne me serais pas permis d’écrire un tel titre tout seul ! C’étaient les idées de Johanna, que j’ai mises en forme, parce que je maitrise mieux les rimes, la syntaxe etc.
    JW : Souvent j’essaie d’écrire des petites phrases… Mais cela reste encore un peu maladroit !
    JF : Oui mais c’est une bonne façon de faire des chansons. Quand j’écris tout seul, je procède de la même manière : j’essaie d’avoir une sorte de scénario, il y a bien sûr quelques phrases toutes prêtes, qui sont déjà en vers, qui viennent facilement, et ensuite j’essaie de donner une forme de chanson.

    B : Restons sur l’écriture, on a trouvé quelques ressemblances avec le style et les thèmes des chansons et des poèmes de Boris Vian, fait-il partie de tes influences ?
    JF : Je connais très mal Boris Vian, je pense que Johanna connait mieux que moi.
    JW : Oui je connais quelques chansons, mais je n’ai jamais été particulièrement influencée pour autant.
    JF : Il y a peut-être une certaine acidité dans ce que j’écris que l’on trouve aussi chez Vian.

    G : Et de la même façon, Vian avait des influences très américaines du point de vue de la musique (le jazz en l’occurrence) mais écrivait des textes en français.
    JW : Nous somes très influencés par la musique américaine mais nous posons des mots français dessus. C’est ça l’idée de base. Quand j’ai rencontré Jean, on parlait de Spector. Mais pas beaucoup des groupes français.
    JF : On dit souvent que les musiciens anglo-saxons chantent n’importe quoi dans leurs morceaux, mais ce n’est pas vrai ! Dimanche à Villejuif [au festival Passer le Périph'] on a fait une reprise de Jolene de Dolly Parton, avant tout parce que les paroles sont magnifiques. Dans la country, les paroles sont plus travaillées que dans la pop. Après, comme chez Spector, ce sont des histoires assez déchirantes. Il y a peu de mots, c’est assez simple, mais ce sont des histoires assez dures. Et quand on s’est rencontrés, c’est vers cela qu’on voulait aller. Aussi parce que MAI était un peu plus sophistiqué, parfois difficile à chanter.
    JW : Pas forcément difficile à chanter, mais c’était contenu, avec des morceaux qui modulent tout le temps. Je ne pouvais pas m’exprimer vocalement. Même si c’était aussi très subtil et que j’ai beaucoup aimé faire cela. Je co-composais avec Frédéric Fortuny ; souvent j’avais une compo, et lui l’améliorait. Mais on ne s’écoutait pas assez.
    JF : Alors que pour notre duo, et c’est ce que voulait Johanna à l’origine, ce sont des morceaux plus chantés, avec des voix qui montent. Donc cela nécessite des compositions plus simples, et plus puissantes aussi. C’est ce qu’on a essayé de faire.

    G : C’est d’ailleurs ce que les Anglo-saxons arrivent plutôt bien à faire : des morceaux simples mais pas « bébêtes » !
    JF : C’est l’esprit de Mets-moi dans ta Valise : c’est une fille qui supplie son mec de la garder, même si c’est juste pour être « l’ombre de [son] ombre », comme dans la chanson de Brel. C’était vraiment la chanson point de départ de notre rencontre et de notre travail ensemble.

    G : Pourquoi avoir contacté Jean au début ?
    JW : Pour le côté musique 50’s et 60’s, et aussi pour son chant ! Il y a peu de gens qui chantent vraiment. Je me suis dit que Jean allait comprendre ce que je voulais faire.
    JF : On a beaucoup d’influences en commun : la musique américaine des années 50-60 pour faire court.
    JW : Jean m’a aussi fait découvrir la country, et moi je connais peut-être plus le jazz.
    JF : Oui je n’y connaissais rien du tout en jazz !

    B : Sur le chant, c’est vrai que l’on constate que vous vous éclatez vraiment sur scène. Par exemple, en ce qui concerne Jo, sa reprise de Charlie Rich, The Most Beautiful Girl, qu’elle a faite à la soirée de Cléa Vincent aux Trois baudets.
    JF : C’est l’exemple typique de grande chanson américaine moitié soul, moitié country, que l’on aime beaucoup.
    JW : A propos de soul, on pourrait aussi citer Wendy Rene.

    B : Jean, tu évoques également souvent le Brill Building, et The Shanri-Las.
    JF : Le Brill Building était une véritable usine à chansons pop. C’était un âge d’or en fait. Ça a donné Burt Bacharach, avec Hal David, Doc Pomus, Mort Shuman. Ça a donné de très grandes chansons populaires, mais exigeantes aussi. C’était à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie. C’était bien aussi de sortir du mythe de l’auteur compositeur, de l’artiste qui fait tout, et d’aller vers le travail en équipe. Je ne demande pas à une super chanteuse comme Dionne Warwick de faire ses chansons ; si Bacharach lui fait, c’est formidable ! Si tout le monde est au top dans la chaine de production, c’est parfait !
    Pour les Shangri-Las, c’est plus le côté mélodramatique qui nous plait, avec carrément les bruits de moto quand le mec a un accident. On a aussi pas mal discuté des Ronettes, les groupes de filles comme ça. Souvent des chansons très déchirantes. Un peu ce qu’on avait en ligne de mire, et il faut dire aussi que ça ne se fait pas beaucoup en France, en tout cas pas ces temps-ci.
    JW : Et je pense que ma voix s’adapte naturellement plutôt bien à ce genre…

    B&G : Le chant est une priorité pour vous?
    JF : On adore chanter. On chante tout le temps ! On aime beaucoup les Everly Bothers par exemple: ils ont vraiment un art de l’harmonie de voix qui est génial. On retrouve beaucoup cela aussi dans la country. Comme on est tous les deux capables de chanter des mélodies correctement, on travaille pas mal dans ce sens.

    B&G : Quels sont les projets en cours ?
    JF : On prévoit un album. On va enregistrer avant l’été, ou cet été. On a déjà enregistré des choses, ou mixé. On a beaucoup de chansons. Et on continue à en écrire.
    JW : A mon avis, ce sera un EP pour la rentrée. C’est ce dont j’ai envie en tout cas !
    JF : Pour les concerts, on sera au Gibus Café le 13 mai. A Londres le 30 mai. Je suis d’ailleurs certain que cela fonctionne mieux de chanter en français à l’étranger, c’est ça qu’il faut faire.
    JW : C’est une question d’organisation et de volonté aussi, mais ce n’est pas si difficile de construire une tournée et de monter des concerts. Je l’avais fait à New York : j’avais dix concerts en dix jours !
    JF : A Paris, on a plus la culture du cabaret, moins celle du café-concert. Mais cela permettrait aux musiciens qui ne jouent pas dans des salles qui paient au cachet réglementaire de s’améliorer. Les groupes seraient meilleurs. Après, en France l’artiste a un statut particulier, il est souvent mis sur un piédestal. C’est bien, les gens à l’étranger nous envient cela, mais il y a les mauvais côtés : ne pas voir la musique comme un job, simplement, par exemple.

    B : Peut-être que le changement de mentalité peut venir d’initiatives comme celle de Marc Desse qui a organisé un festival pop [Passer le Périph’] ?
    JW : Oui évidemment, et souvent les gros festivals commencent comme ça !
    JF : S’il y avait plus d’événements intermédiaires pour pouvoir jouer, des petits clubs... Mais il y a malgré tout de bons côtés en France, la sécurité de l’intermittence en fait partie.

    B : Vous connaissez le Pop In ?
    JW : Oui on y a joué, et on va y rejouer !

    G : Et des festivals prévus cet été ?
    JW : Non. On a fait notre premier concert aux Trois Baudets fin décembre 2013, c’est là que tout s’est mis en place je pense. C’était une soirée consacrée à l’année 1966. Cléa Vincent a écouté nos morceaux, elle a adoré, et elle nous a proposé de faire la première partie. Et ensuite on a fait un ou deux concerts par mois. J’ai contacté des gens, et Jean m’a aidé pour contacter certaines personnes. Nous sommes allés à Bordeaux aussi, je n’avais pas envie de tourner en rond à Paris. Et j’aimerais que l’on s’organise une tournée nous-mêmes, qu’on contacte des petites salles. On n’a pas de prétention là-dessus, nous sommes prêts à jouer partout. C’est une question d’occasion aussi. J’aimerais bien avoir un tourneur qui nous trouverait des dates !
    JF : On s’est surtout dit qu’on allait se débrouiller pour faire des concerts dans la mesure où on a des chansons et qu’on sait les chanter. On n’avait pas envie d’attendre d’avoir une direction, et un « projet » comme on dit dans le métier ! A la base on avait le fantasme d’un concert avec plein de musiciens, à la Sonny & Cher, mais vu que ce n’était pas possible, on a décidé de faire des concerts avec des boites à rythmes, une guitare, et les deux voix. Cela a presque tracé une direction pour nous.


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  • Soirée « 1974 » organisée par Cléa Vincent - Les Trois Baudets (64, boulevard de Clichy) - Mercredi 07 mai 2014, à 20h.
    Par Baptiste Petitjean.

    Live report : soirée 1974, organisée par Cléa Vincent (Les Trois Baudets), 7 mai 2014

    Cléa Vincent – dont le premier EP « Non Mais Oui » est sorti il y a plusieurs semaines – a eu la bonne idée d’inviter une dizaine d’artistes plus ou moins confirmés à interpréter un morceau de l’année 1974, une année riche musicalement et qu’il était légitime de fêter, sans sombrer dans le revivalisme bien entendu.

    Commençons par la fin : Le maître de cérémonie, Cléa Vincent, aussi à l’aise dans cet exercice que Jacques Martin dans l’Ecole Des Fans, a clos le tour de chant par une interprétation de I Can Help de Billy Swan. Que ce soit pour l’attitude sur scène ou pour cette voix de femme-ado, on finit par préférer sans hésitation sa version, résolument plus pop et plus moderne, cela va sans dire

    Sans détailler chacun des passages, on peut tout de même souligner la prestation de cinq artistes :

    - Tout d’abord Jo Wedin – qu’on ne quitte plus puisqu’on a assisté à un concert entier au Festival « Passer le Périph » le dimanche 4 mai. Jean Felzine ne l’accompagnait pas cette fois-ci, mais il était malgré tout dans la salle ! Avec Jo Wedin dans le secteur, toutes les chanteuses donnant dans le style années 50 - 60 n’ont qu’à se rhabiller : c’est elle la patronne !

    - Le multi-instrumentiste Kim – qui vient de sortir un album de reprise intitulé « Kims x Kim » – a repris On The Beach de Neil Young avec une virtuosité indéniable, alternant chant et harmonica, dans un univers rock-psyché qui lui va comme un gant.

    - Comment ne pas évoquer la performance de Moziimo, « sorte de cheval sauvage » selon la présentation de Cléa Vincent, qui a emmené No Woman No Cry vers son univers trans-psyché. Sa danse et notamment son petit jeu de tête valent également le détour !

    - La Féline, le coup de cœur de Mishka Assayas (interview à découvrir bientôt sur notre blog), a redonné un coup de jeune au classique Porque Te Vas, grâce à sa voix soufflée et son timbre sensuel.

    - Enfin Junior Vic – du label Midnight Special Records – complètement habité par sa reprise très sautillante de Rory Gallagher. On a également apprécié sa superbe technique de guitare.

    On est reparti des Trois Baudets content : parce qu’on a l’air de Kung Fu Fighting dans la tête ; content aussi d’avoir écouté de la vraie musique faite ou interprétée par des artistes qui aiment la musique ; et surtout content de voir que la French Pop est décidément bien vivante.

    Live report : soirée 1974, organisée par Cléa Vincent (Les Trois Baudets), 7 mai 2014

    Récapitulatif/ Interprète + Morceau : Franz Is Dead, Waterloo (Abba) > Kids Are Dead, A Dream Goes On Forever (Todd Rundgren) > Guillaume Fedou, Candidate (David Bowie) > Alex (de This Is Avalanche), Faust (version Swan dans Phantom Of The Paradise) > Jo Wedin, The Most Beautiful Girl (Charlie Rich) > Michelle Blades, Needle In The Camel’s Eye (Brian Eno) > Kim, On The Beach (Neil Young) > Alice Lewis, Old Souls (Phantom Of The Paradise) > Olivier Rocabois (de All If), 1985 (Paul McCartney) > La Féline, Porque Te Vas (Jeannette) > Sofia Bolt, Help Me (Joni Mitchell) > Moziimo, No Woman No Cry (Bob Marley) > Junior Vic, A Million Miles Away (Rory Gallagher) > Valérie Renarde, Everyday (Slade) > Niki Demiller, Rebel Rebel (David Bowie) > Seb Adam, This Town Ain’t Big Enough For The Both Of Us (Sparks) > Cléa Vincent, I Can Help (Billy Swan) > FINAL : Kung Fu Fighting


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