• Interview de Victor Peynichou, directeur artistique du label Midnight Special Records (cofondé avec Marius Duflot).
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN. 19 septembre 2015.

    Le mercredi 23 septembre, le label Midnight Special Records fêtera ses 4 ans au Glazart. A l’approche de cet anniversaire, nous avons rencontré Victor Peynichou, un des fondateurs de ce label. L’occasion de revenir sur l’histoire, l’esprit et les artistes de Midnight Special Records.

    Interview de Victor Peynichou (label Midnight Special Records)

    Baptiste et Gérald : Peux-tu nous parler du parcours qui t'a mené à être parallèlement un musicien très prolifique et à la création du label Midnight Special Records ?
    Victor Peynichou : Sans remonter trop loin, je peux dire qu'au moment de l'adolescence j'avais monté quelques projets musicaux. Je jouais dans quelques groupes, notamment avec Marius, avec lequel j'ai fondé le label par la suite. A l'âge de 16 ans, j'ai commencé à me produire, à faire des concerts. A force d'organiser les concerts de mes groupes, je me suis mis à en organiser pour d'autres… J'ai monté quelques mini-festivals, toujours à Paris, dans des cafés concerts, comme le Café Courant, dans le quartier d'Aligre. Il y avait beaucoup de musique là-bas à l'époque. Il y avait des jams de blues dans tous les sens, des petits concerts rock et expérimentaux. Au final, je m'occupais pas mal de l'aspect organisationnel, tandis que Marius de son côté était plus branché par l'enregistrement… Une complémentarité assez naturelle s'est donc créée entre nous. On a même habité ensemble, toujours dans ce quartier de la place d'Aligre. Et un jour je lui ai dit, sans trop y avoir réfléchi : « Tiens on pourrait sortir une cassette ; on ramène des artistes, et on les enregistre ». On a sorti une première cassette début 2011, la première du label Midnight Special …

    Interview de Victor Peynichou (label Midnight Special Records)

    B&G : Comment s'est déroulée la phase du création du label ?
    VP : Midnight Special est une chanson de LeadBelly… En 2009-2010, j'organisais régulièrement des soirées en utilisant ce nom, qu'on a repris le label. J'ai d'ailleurs fait une soirée avec Baptiste Hamon, qui s'appelait à l'époque Texas in Paris. J'avais organisé un mini festival où Cléa Vincent avait joué, avec My Broken Frame, Caandides et Catholic Spray. On réalise un premier enregistrement en 2010, avec Freckles en face A, une artiste française qui faisait du folk, et LluLLaiLLaco en face B, folk aussi mais avec des influences plus indé... On sort cette première production début 2011, au moment de la création du label. On a tout de suite trouvé cela excitant, même si nous n'avions aucune idée concrète sur ce qu'était le pilotage d'un label, on a tout fait à tâtons. On enregistrait à la maison… La seconde cassette c'était avec Cléa Vincent et Baptiste Hamon. Cléa, je l'avais vue dans un Open Mic au bar La Faille à Ménilmontant, et elle m'avait scotché. Je suis allé la voir et je lui ai dit : « C'est génial ce que tu fais ! ». Je l'ai rattachée direct à un festival que j'organisais, ça se passait dans la salle Les Combustibles (maintenant Le Pop Up...). Elle est venue ensuite me présenter ses projets, notamment un groupe de bossa qui s'appelait Les Coquillages, elle jouait des titres de Katerine et Gainsbourg, entre autres. D'un autre côté, Baptiste Hamon, qui rentrait du Pérou, me dit : « J'ai des chansons en français, j'aimerais bien essayer de les sortir ». Il me les a jouées, et ça m'a tout de suite branché. Pendant l'enregistrement, il y avait une ambiance de fou… En même temps, on avait un peu plus de moyens, le label prenait forme.

    B&G : Dans quel esprit avez-vous créé Midnight Special Records ?
    VP : On a fait le label pour avoir notre propre son. L'idée était de tout enregistrer, de A à Z. On passait une semaine dans un appart', malgré les voisins. On calait un groupe dans un appartement, une batterie dans une pièce, une guitare dans une autre, des amplis qui crachaient dans la salle de bain... Un jour, Emiko Ota enregistrait chez nous (pour le groupe Traditional Monsters, avec Dick Turner), moi j'arrivais de Ledru-Rollin par une rue proche de notre appart', et je me suis demandé ce qui se passait dans la rue, c'était le bordel total ! En fait c'était sa batterie qui résonnait dans tout le quartier. Il y a aussi la fois où, dans ce même appart', on enregistrait un titre de La Femme, une nouvelle version de La Femme Ressort, pour une compilation, ça a été très dur à mixer : il n'y a pas un moment où ils ne parlaient pas !

    B&G : Quelle est la particularité de Midnight ?
    VP : Pour savoir ce qu'on est, il faut tout écouter ! Avec Marius, on a essayé d'installer une touche sonore, plutôt que de faire du label une étiquette. On n'est pas un label pop, ni un label punk. On a toujours essayé d'insister sur le style et la signature Midnight, quel que soit le genre. C'est quelque chose qui se fait naturellement, très liée à l'ambiance : on enregistre avec des amis, ça change tout car on peut communiquer. Un enregistrement peut tout donner, et le fait d'enregistrer avec des gens qu'on comprend et avec lesquels on partage certaines références, cela permet d’obtenir une certaine osmose, d'avoir un résultat vraiment collectif. Il y a quelque chose d'assez familial. Cette touche sonore n'est pas préparée en fait. Une petite anecdote qui illustre cette générosité : sur les premières cassettes, on les faisait nous-mêmes, cela prenait 20 minutes par face, c'était du temps réel ! On y a passé trois jours rien que pour la première release ! On mettait des réveils... On savait que le fait d'avoir une deuxième platine cassette nous aurait aidés : j'ai demandé à Kim Giani, que je ne connaissais pas encore très bien, s'il avait un deck, il m'a dit : « Oui bien sûr. Viens le chercher chez moi ! »... Après cet épisode, il avait repris un titre des Bee Gees, Run to Me, sur une de nos compil', avec un gars des Natas Loves You. De la même manière, pour illustrer ce travail collectif qui correspond bien à Midnight, on avait créé le groupe Sex Tape pour une tournée américaine que Michelle Blades avait organisée. Le groupe était composée de Michelle Blades, Malvina Meinier, Marius avec son projet Ashtray, et moi avec Money Jungle. L'idée était de réinterpréter les morceaux de chacun, au lieu de faire quatre concerts à la suite… On a fait le même coup pour la tournée avec Cléa Vincent, Michelle Blades et Womanmay aux États-Unis cet été.

    B&G : Tu peux nous dire quelques mots sur tes influences musicales ?
    VP : J'ai commencé à apprendre la guitare à 15 ans, je jouais du blues. Je suis venu au rock après. Quand j'étais petit, j'écoutais les classiques : Bob Dylan, les Stones... Et puis j'ai flashé sur le Blues : Elmore James, Robert Johnson évidemment, et Buddy Guy pour son jeu de guitare. Je n'écoutais que ça. Marius quant à lui avait un groupe plus psyché, il écoutait pas mal de trucs des 90s, les Breeders, du grunge… Il a toujours été branché par la disto, et par tout ce qui est un peu radical dans les choix sonores et dans les paroles aussi.

    B&G : Faisons un petit tour des artistes Midnight… Commençons par Cléa Vincent, révélation pop de l'année 2014…
    VP : Une compositrice géniale, un jeu de piano unique ; j'adore quand elle improvise. Elle possède une réelle sensibilité : quand elle interprète ses morceaux, elle les vit vraiment. Elle commence aussi à chercher des choses un peu plus soul dans sa voix en ce moment… Elle aime beaucoup Carole King, en voilà peut-être la raison. C'est vrai que ses deux EPs ont très bien marché, notamment le second, « Non Mais Oui, Vol. 2 ». En même temps, je n'avais aucun doute sur le fait que ça marcherait ! Il suffisait de la montrer au plus grand nombre. Ce qui assoit sa réussite, c'est vraiment la qualité de sa compo, et non pas une tendance. Elle ne fonctionne pas sur une mode. Raphaël a été un apport très solide et très intéressant pour elle : sa musique a pris une nouvelle couleur.

    B&G : Malvina Meinier, quant à elle, vient de sortir « Home », un disque foisonnant, difficile à cerner malgré tout, peut-être un peu inaccessible...
    VP : On ne s'interroge pas sur ce type de problématique accessible/inaccessible. Malvina a composé cet album, « Home », à travers lequel elle a totalement construit un univers. Elle a une capacité hallucinante à créer des ambiances. Cela dit je comprends le questionnement, car la formule couplet-refrain a évidemment plus de chances de fonctionner. Mais chez Midnight nous n'avons jamais eu de hiérarchie des goûts. On a toujours considéré que n'importe quelle musique pouvait être écoutée par n'importe qui…

    B&G : Parle-nous de Kim, ce multi-instrumentiste inspiré et ultra productif ! Vous avez sorti « KIM Sings The Blues » chez Midnight il y a quelques mois...
    VP : Kim voulait sortir un disque de Blues. Marius et moi on est vraiment fans de sa musique, en plus d'être potes avec lui ; nous n'avons pas hésité une seconde ! Pour l'enregistrement, Kim a fait un choix particulier, il s'est posé en tant qu'interprète. On a fait tous les arrangements, on lui a proposé les morceaux, il est venu au studio et il a chanté. Pour rester dans cet esprit participatif cher à Midnight, on avait demandé à Michelle Blades et Malvina Meinier de composer un titre, non pas sur une structure blues, mais plutôt sur ce qu'elles pensaient être un blues. Michelle a composé What They Called A Descent, et Malvina Crystal In Veins. Cléa Vincent aussi a joué sur cet album, ainsi que Dick Turner (pour un titre qui ne figure pas sur l'album, mais qui est sorti en single), Junior Vic Band et Doc Lou Trio (deux groupes dans lesquels je joue et avec lesquels j'ai dû faire 15 fois le tour de la France), Sacha (le guitariste de la Femme), René Miller et Marius.

    B&G : Il y a Michelle Blades aussi, qui vient de sortir l'album « Ataraxia ».
    VP : Nous avons sorti ce disque en mai 2015. C'est une grande compositrice. Elle possède un débit de création assez hallucinant et une grosse capacité d'adaptation à tous les styles. Elle ne va jamais chercher les harmonies simplistes. Elle a aussi un jeu de guitare unique : elle joue beaucoup en arpèges, ou plutôt dans des formes d'arpèges particulières, très liées à sa pratique du ukulélé. C'est en partie cette façon d'appréhender la guitare qui confère à ses morceaux un style assez unique. C'est aussi Michelle qui nous a présenté une autre artiste Midnight, Womanmay. C'est une Vénézuélienne qui fait une musique hypnotique très intéressante.

    B&G : Midnight Special records fête ses quatre ans mercredi prochain au Glazart, quel est le programme ?
    VP : Malvina Meinier viendra jouer son dernier album, « Home ». Puis Michelle Blades. Sans oublier Gazza du collectif Jalousie, qui fera un DJ set.

    B&G : Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
    VP : Nous prévoyons de monter un nouveau studio d'enregistrement. Et évidemment nous souhaitons continuer à produire les artistes avec la liberté que nous avons actuellement. Continuer d'expérimenter au maximum, de découvrir de nouveaux artistes.

    Interview de Victor Peynichou (label Midnight Special Records)

    B&G : C'est le moment tant attendu de l'interview « dernier coup » ! Dernier coup de foudre ?
    VP : Aux États-Unis, j'ai découvert plusieurs groupes pendant la tournée. Anibal Velasquez par exemple ; c'est de la musique latine, avec de l'accordéon… Je suis tombé sur son vinyle, « Mambo Loco » (cf photo de droite ci-dessus), à Lyon. Je pourrais aussi citer Chastity Belt, avec leur nouveau disque « Time To Go Home », qu'on écoutait beaucoup sur la route pour nous motiver.

    B&G : Dernier coup dur ?
    VP : Le fait de rentrer des États-Unis et qu'il pleuve tous les jours à Paris…

    B&G : Dernier coup de barre ?
    VP : Après la tournée américaine ! On a fait 6 000 kilomètres, on est sortis lessivés…

    B&G : Dernier coup de rouge ?
    VP : Plutôt un non coup de rouge : je n'ai pas goûté de bourbon au Kentucky, c'est un vrai regret.


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  • Interview de Dominique PASCAUD, auteur de « Figurante » (Editions de la Martinière)
    4 septembre 2015 - Pop In.
    Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.
    Photos d'Olivier REBECQ.

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    Nous connaissions Dominique Pascaud en tant que musicien, que ce soit en solo, récemment avec le projet Clarence Affectif, ou avec Alex Rossi comme compositeur et guitariste. Nous savions qu'il enseignait le dessin à Paris. Mais nous ignorions que sa palette ne se limitait pas à ces deux activités artistiques : il vient de publier aux prestigieuses Éditions de la Martinière son premier roman, « Figurante », dans lequel il rappelle la beauté des choses communes, parfois chahutées par des rêves naissants qu'on aurait préférés ne pas avoir à goûter ... Rencontre avec l'auteur.

    Baptiste & Gérald : Pendant ton parcours musical, tu as toujours eu en tête de devenir écrivain ? Tu souhaites continuer à faire les deux ?
    Dominique Pascaud : J'ai écrit des choses quand j'étais plus jeune. Mais je n'avais jamais eu le temps de concrétiser cette activité artistique. J'avais écrit un premier roman entre mes 20 et mes 25 ans. Il y a 6 ans, je me suis mis à l'écriture de nouvelles que je publiais dans des revues parisiennes, et il y a trois ans je me suis remis au roman, au long format.

    B&G : Finalement tu bascules sans arrêt de la musique à l'écriture … ?
    DP : L'alternance entre les deux exercices me permettait et me permet toujours de respirer : quand j'en avais marre de la musique je me mettais à écrire, et inversement. Et j'ai aussi mon travail de professeur de dessin qui me prend beaucoup de temps. Quand j'étais jeune, j'ai fait un peu de Bande Dessinée d'ailleurs. Je faisais le concours d'Angoulême, j'avais même gagné quelques prix… J'avais pensé, après le bac, à aller dan une école d'art à Bruxelles, et puis finalement j'ai fait une fac d'arts plastiques et ensuite j'ai fait les Beaux Arts de Paris. C'est là que j'ai découvert l'art contemporain, ce qui m'a éloigné petit à petit de la BD. Ceci dit, j'apprécie toujours ce genre, notamment à travers Chris Ware, ou Daniel Clowes qui a fait "Ghost World", ou encore Charles Burns. J'ai fait quelques expos quand j'étais aux Beaux Arts ; je suis aussi parti 6 mois aux États-Unis où j'ai fait du cinéma expérimental. J'ai présenté mon diplôme dans cette discipline. Mais après les Beaux Arts, je n'ai pas essayé de trouver une galerie ou de persévérer là-dedans, je me suis mis à faire de la musique. J'ai eu mes projets sous mon nom, j'ai auto-produit mes albums. J'ai même eu quelques chroniques dans Magic, dans les actualités souterraines. Puis j'ai rencontré Alex Rossi, on a commencé à jouer ensemble. J'avais en parallèle d'autres groupes : Tristen, qui tourne encore, et Querencia. Je jouais pour ces groupes en tant que guitariste et bassiste. Je me suis mis également à composer pour d'autres, pour Alex par exemple. Bref, j'essaie de jongler entre toutes ces activités artistiques, c'est mon mode de fonctionnement !

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    B&G : Et sur le plan de tes influences musicales, quel est ton background ?
    DP : Les Smiths, Suede…

    B : … Sur l'album de Clarence Affectif, figure d'ailleurs le morceau Magnifique Perdant, qui renvoie au Beautiful Loser de Suede...
    DP : Ah oui c'est vrai ! Leur chanson Heroine est magnifique. J'aime aussi beaucoup les Tindersticks. Et bien entendu il y a l'ombre de Dominique A qui plane sur toutes mes compositions… Je pense que quand on fait de la pop française, on ne peut pas y échapper ! Philippe Katerine aussi, grosse influence.

    G : Certains morceaux de Clarence Affectif nous avaient fait penser aux Auteurs de Luke Haines (Une nuit sous les flammes, A la lumière du bar)…
    DP : Oui j'adore les Auteurs, ce groupe fait partie de mes influences. Malheureusement, je n'ai jamais pu les voir en concert. Et en ce qui concerne le début de Clarence Affectif, il y avait une volonté de faire quelque chose qui me plaisait, sans contraintes, avec des cuivres, avec des sons plus industriels, un peu dans le style Suicide d'Alan Vega, un groupe qu'on écoutait pas mal avec mes frères quand j'étais petit. Sans oublier Bowie bien sûr. Musicalement, je dois tout à mes frères ! Adolescent, j'ai découvert Hendrix . Et il m'a vraiment marqué, comme tout guitariste !

    B&G : Et pourquoi ce pseudo, Clarence Affectif ?
    DP : Pour faire un jeu de mots : carence affective… Et j'aime bien le prénom Clarence, c'est le deuxième prénom de mon fils. J'ai tout fait tout seul sur cet album, comme sur les albums auto-produits sous mon nom. Il y a seulement un pote qui a joué du piano sur A La Lumière Du Bar, et une copine qui a posé sa voix sur un autre morceau. L'enregistrement de tous ces albums m'a pris beaucoup de temps à chaque fois.Il a fallu découvrir les logiciels. Les premières démos datent de 2001, 2002, et le premier album 2003. Je venais d'avoir mon premier ordi …

    B&G : Revenons-en à l'alternance entre écriture des chansons et écriture de romans : est-ce que tu y vois des similitudes, des différences, des complémentarités ?
    DP : Globalement c'est tout de même assez différent. Dans la chanson il peut y avoir une forme d'abstraction ; tu peux aligner des phrases, sans forcément raconter une histoire. Ça peut être juste l'évocation d'un lieu, d'une sensation, d'une rencontre… Quand j'écris des paroles de chansons, je fais surtout attention à la musicalité des mots, alors qu'en écriture, à moins de faire de la poésie, tu es obligé de tirer un fil, pour obtenir une histoire. Je me suis fait la main sur l'écriture de nouvelles, ça m'a beaucoup entraîné… C'est un peu comme Nick Cave, son style était différent si l'on prenait d'un côté les paroles de ses chansons, et ses bouquins de l'autre, comme « Et L’Âne Vit L'Ange » (1989).

    B&G : Tu viens de publier « Figurante » aux éditions de la Martinière. Il nous a fait penser aux premiers livres d'Olivier Adam – la vie des gens simples et leurs tristesses, avec peu de moments de joie, mais sans apitoiement sur le sort de l'héroïne. C'est la vie des gens. C'est aussi ton sentiment ?
    DP : J'avais envie de décrire une vie qui ressemble aux nôtres. La jeune fille, Louise, qui est au centre de mon livre, a des rêves modestes, mais ce sont des rêves quand même. Et puis on lui propose d'autres rêves [décrocher le 1er rôle d'un film], elle va y croire, mais elle va un peu s'y casser les dents. Le livre est parti d'une nouvelle, qui s'intitulait « Hôtel » et qui correspond en fait aux 10 premières pages du livre : la nouvelle s'achevait sur le fait que finalement on ne lui propose pas le rôle … Or ce qui m'intéressait ce n'était pas d'exploiter et de développer cet aspect-là, mais plutôt ce qui peut se passer après, après la déception. Comment je vis mon quotidien une fois que le mirage a disparu ?

    B&G : Dans le quotidien de Louise, tu insistes beaucoup sur les pauses cigarettes…
    DP : Oui, elle a ça, ses pauses clopes, qui sont importantes pour elle. Peut-être que c'est un livre qui encourage à fumer d'ailleurs ! Elle a aussi les caresses de Marc, son copain. Elle l'aime, elle est sincère avec lui.

    B&G : Et pourquoi avoir choisi une héroïne ?
    DP : La nouvelle qui est à l'origine du livre partait d'un moment précis et vécu : nous étions dans un hôtel en province, et nous avons rencontré une serveuse, qui préparait les petits-déjeuners. Elle était plutôt jolie. Elle dénotait un peu dans le lieu où elle travaillait, un peu vieillot. Un hôtel banal de province en fait, celui où tu ne t'arrêtes qu'un soir… Elle était comme une fleur qui apparaissait. C'est ça qui m'avait donné cette idée : quelqu'un arrive dans cet hôtel et propose à cette fille quelque chose d'inattendu. Le fait de me mettre dans la peau d'une héroïne m'a aussi permis un certain détachement. Mon précédent roman, qui n'a pas été publié, était plus autobiographique, comme souvent les premiers romans d'ailleurs. Alors que dans « Figurante », j'avais plus de recul, et j'avais aussi, paradoxalement, le sentiment d'être plus attentif à des détails.

    B&G : Avec « Figurante », on pense, d'un certain point de vue, aux romans de Houellebecq : description d'une réalité plutôt dégradée… Comme lui, et bien que ton style soit au final assez différent, plus romantique, tu ne racontes pas le pourquoi des choses, mais plutôt le comment. Le pourquoi n'a pas d'importance ?
    DP : J'ai seulement lu deux livres de Michel Houellebecq, donc c'est difficile de répondre à cette question sans connaître son œuvre intégralement, je ne serai pas bon juge pour comparer ses livres avec mon roman. Dans mon roman je ne voulais pas trop en faire sur la psychologie des personnages, je ne voulais pas rentrer dans le pathos. J'ai préféré décrire les faits, et j'ai considéré que cela suffisait pour exprimer des choses. On peut prendre l'exemple de la relation de Louise avec son père, une relation plate et assez triste finalement. Je souhaitais que la description se suffise à elle-même pour illustrer ce lien, ou plutôt cette absence de lien. Louise, quand elle vient voir son père, refait son lit, lui apporte des croissants, nettoie l'évier… Tout cela participe à l'élaboration d'un univers. Inutile alors de parler de ses sentiments explicitement. Autre exemple : le simple fait de décrire le paysage qu'elle regarde, composé des néons lumineux de la zone commerciale, permet de dire de manière sous-jacente, en profondeur, qu'elle est triste. C'est plus fort que d'écrire explicitement qu'elle est triste face à ce décor. Peut-être est-ce une influence du roman américain et de la littérature anglaise…

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    B&G : Il y a aussi une réflexion sur nos rêves, qui parfois nous dépassent et ne valent pas la peine d'être vécus… Des rêves qui finalement appartiennent à d'autres. D'où t'est venu ce thème d'écriture ?
    DP : On pourrait revenir à la musique : quand je faisais des albums auto-produits, j'ai eu quelques articles… Et j'y croyais beaucoup ! Alors forcément, après, si ça ne marche pas, la désillusion est plus forte. On peut faire un super concert, récolter une super critique dans un magazine, mais il peut ne rien se passer après. C'est un peu comme les montagnes russes. Ou l'expression « Beaucoup d'appelés, peu d'élus ». Avec ce livre, je voulais exprimer le fait qu'à chacun de nous il peut arriver quelque chose d'exceptionnel sans qu'il y ait de suite… Et on doit tous vivre avec ce genre de phénomène. Je voulais que mon roman parle vraiment aux lecteurs. Et mon héroïne est aussi une fille plutôt courageuse, elle va essayer de s'accrocher à ce nouveau rêve de devenir actrice, elle va essayer de voir ce qui peut se passer, elle va prendre des initiatives. Je n'aimerais pas qu'on dise qu'elle est passive, triste et minable, ni qu'on pense que je décris une vie médiocre en province… Je voudrais au contraire que le lecteur trouve à l’héroïne quelque chose d'attachant. Certes, elle a des rêves plus modestes, ouvrir une chambre d'hôtes, avoir des enfants… Mais ces rêves ne sont pas plus ou moins louables ou respectables que d'autres.

    B&G : Ton livre comporte également une part de questionnements sur le temps qui passe, le poids du temps et son élasticité, la tension entre les moments d'accélération et la monotonie de la vie.
    DP : Juste après qu'elle se voie proposer le rôle dans le film par le réalisateur, l'héroïne est dans son propre temps, dont elle profite d'ailleurs. Sauf qu'en attendant, la proposition est déjà remise en cause par la production. Donc son temps à elle n'est pas du tout le même que celui de cette équipe de production. Le temps qu'elle réalise que ce rêve est accessible et qu'il est bien réel, c'est déjà fini pour les autres : les choses se sont jouées dans son dos, et elle n'y peut rien. C'est cette distorsion du temps qui fait souffrir.

    B&G : La distorsion est aussi très présente dans ton style d'écriture : tu alternes souvent les moments de longue description, et les courts passages qui cassent la narration (1).
    DP : Oui c'est vrai j'aime bien écrire de cette manière : je peux passer beaucoup de temps à décrire un lieu, puis enchaîner sur une action qui se déroule très rapidement. J'aime bien cette cassure dans le rythme. Par exemple, il y a cette scène dans le livre : l'héroïne va chez son père, elle se fait un thé, elle ramasse les miettes avec son petit doigt, elle boit un peu d'eau...Le temps y est étiré au maximum. J'aime bien traiter les choses comme ça.

    Interview de Dominique Pascaud, pour la sortie de son roman "Figurante"

    B&G : On a trouvé ton utilisation du mot « silhouette » très intéressante, un peu comme le mot « lisières » dans « Les lisières » d'Olivier Adam (Flammarion, 2012). Le mot revient souvent, à compter du moment où Louise réagit à la volonté de son copain Marc de figurer dans le film (2).
    DP : Au cinéma, une « silhouette » désigne un personnage qui fait de la figuration et qui ne parle pas. Mais dans la vie réelle on est tous des silhouettes ! Dans le métro, il y a des silhouettes qui se côtoient, sans forcément se connaître… Cela crée une sensation bizarre : on a le sentiment d'appartenir à quelque chose, mais en même temps cela fait de nous des éléments interchangeables, dont la vie est finalement assez dérisoire.

    B&G : Et une silhouette est à la fois précise et floue : on distingue nettement le profil d'une personne mais sans voir son visage, son regard …
    DP : Oui d'ailleurs en art j'aime beaucoup les dessins très fins, au trait, ceux d'Ingres ou de Picasso. Je suis très sensible à la ligne claire d'ailleurs, en musique comme en dessin ! Par ailleurs, je ne décris jamais son visage, ni la couleur de ses cheveux… Je laisse aux lecteurs le soin d'imaginer ces caractéristiques. Je ne fais que donner le contour de son personnage …

    G : L'héroïne est une silhouette, mais en même temps elle se fait remarquer par le réalisateur grâce à son regard …
    DP : Oui c'est exact. C'est un peu comme si la silhouette se remplissait et se vidait, en fonction des situations et des opportunités.

     (1) Cf. page 49, résumé très abrupt du livre et des émotions qui ont traversé en si peu de temps Louise : « Tout s'est déroulé si vite. La stupéfaction, le doute, la confusion, le plaisir, l'intention puis l'humiliation. Tout cela s'est passé vite ».

    (2) Cf. page 60 : « Non, sincèrement, j'espère qu'ils auront un petit rôle pour toi, même juste une silhouette, il paraît que c'est comme ça qu'on dit dans le métier, une silhouette, on est tous des silhouettes, pas vrai Marc? Des silhouettes dans le lointain, un peu floues et perdues, comme des dessins pas finis, ou mal effacés, qui hésitent entre l'oubli et la présence, c'est ça, des silhouettes ».

     

     


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