• Interview de Pierre Mikaïloff, pour la sortie de "Terminus Las Vegas"

    Interview de Pierre Mikaïloff, pour la sortie de de son recueil de nouvelles "Terminus Las Vegas".

    22 novembre 2016, Le Pop In. Par Baptiste et Gérald PETITJEAN.

    Interview de Pierre Mikaïloff, pour la sortie de "Terminus Las Vegas"

    Pierre Mikaïloff, guitariste du groupe Les Désaxés puis de Jacno, auteur de romans et de biographies (Serge Gainsbourg, Françoise Hardy, Alain Bashung, …), vient de publier « Terminus Las Vegas », un recueil de nouvelles, aux éditions Paul & Mike. Las Vegas y est un mirage construit par des mafieux, un mensonge perdu dans le désert, un cauchemar pour des losers en fin de parcours, une porte des enfers qui fait se croiser fantômes de rock stars et rock stars fantomatiques. Dans ce Las Vegas, les humains sont fatigués. Les démons sont trop humains. Les rock stars ont perdu leurs pouvoirs et ressemblent à d’anciennes divinités déchues. Comme si les Grands Anciens de Lovecraft avaient forcé sur la bouteille et atterri dans "American Gods" de Neil Gaiman. Terminus Las Vegas, tout le monde descend, pas la peine de prendre un billet de retour.

    Recontre avec Pierre Mikaïloff, qui nous parle de son Las Vegas et de ses personnages. Et, en bonus, une playlist à écouter en lisant « Terminus Las Vegas » !

    Baptiste & Gérald : Tu as démarré comme musicien, guitariste au sein du groupe Les Désaxés puis pour Jacno, et ensuite tu es passé à l’écriture. Essais, biographies, romans, journalisme, … Pourquoi cette évolution ?

    Pierre Mikaïloff : Je suis passé de la musique à l’écriture sans passer par la case journalisme, mais par la case « petits boulots » aux débuts des années 2000. Mon premier livre était un recueil de nouvelles, « Some clichés : une enquête sur la disparition du rock’n roll ». De là, on m’a proposé d’autres projets : Patrick Eudeline m’a contacté pour écrire le « Dictionnaire raisonné du punk », Philippe Manœuvre m’a proposé d’écrire des papiers dans Rock’n Folk. C’était en 2006. Et depuis, ça n’a pas arrêté.

    B&G : Il y a d’ailleurs toujours un fonds de musique dans ton travail d’écrivain.

    PM : Oui, la musique et le rock en particulier sont toujours présents car c’est ce qui m’a ouvert au monde. Je n’ai pas été poussé par une soudaine envie d’écrire. En fait, l’envie était là depuis très longtemps, depuis mon enfance, avant même que je ne fasse de la musique. Mais je ne savais pas comment l’aborder. À l'adolescence, monter un groupe a été plus simple, plus direct, plus spontané. Il y avait aussi la motivation collective d’être avec des potes et de jouer de la musique. Alors que pour l’écriture, on se retrouve seul, assis devant son ordinateur. Il a donc fallu attendre que je fasse moins de musique pour me mettre vraiment à l’écriture. Les plans que j’avais en tant que musicien étaient plutôt foireux, j’avais par exemple beaucoup travaillé sur une BO de long-métrage et le film a mis très longtemps à sortir. Ça m’avait découragé et un peu dégoûté de la musique. C’était le bon moment pour passer à l’écriture.

    B&G : Récemment, tu as publié beaucoup de biographies. Avec « Terminus Las Vegas », tu repasses à la fiction. C’est un choix d’alterner ? Au gré de tes envies ?

    PM : Ce n’est jamais vraiment un choix. Pour les biographies et les essais, il y a des propositions, qu’on accepte ou qu’on refuse. Au départ, je souhaitais faire uniquement de la fiction mais je voulais aussi vivre de l’écriture. Donc j’ai accepté des ouvrages « alimentaires » qui me plaisaient et qui m’intéressaient, sur le punk, sur Taxi Girl, sur Françoise Hardy, sur Jane Birkin, sur Alain Bashung… Si je me suis détourné de la fiction, c’était avant tout un concours de circonstances, et non un choix. Mais j’ai toujours continué à écrire de la fiction : des nouvelles publiées dans des ouvrages collectifs sur les Doors ou les Ramones, et aussi deux romans.

    B&G : On va revenir sur « Terminus Las Vegas ». C’est un recueil de nouvelles, qui ne se déroulent d’ailleurs pas toutes à Las Vegas. C’est plus un esprit et une ambiance autour de Las Vegas.

    PM : En fait, Las Vegas, c’est un fantasme, ça peut être n’importe où. C’est un rêve de losers, de paumés, de personnages qui au début de l’histoire sont mal partis et qui, à la fin, sont encore plus mal en point… Las Vegas, c’est aussi une ville très graphique, très cinématographique, qui se prête à l’imaginaire, avec ses néons, ses casinos, son faux Venise, son faux Paris, avec une débauche de moyens. La ville est aussi un vrai décor de rock’n’roll : Elvis y a fait son come-back scénique, les Stones y ont joué cette année.

    B&G : Dans tes nouvelles, la plupart des protagonistes pensent que Las Vegas est un rêve et une oasis. Mais, c’est plutôt un cauchemar et un mirage.

    PM : Oui. Las Vegas pourrait être un mirage : c’est une ville construite de toutes pièces dans le désert par la mafia, après la seconde guerre mondiale. Et il se pourrait qu’un voyageur, en arrivant à son but, s’aperçoive qu’il n’y a rien, que Las Vegas n’existe pas, qu’il ne reste que le lit d’un ruisseau asséché. Mes personnages n’atteignent jamais Las Vegas ou, quand ils l’atteignent, se rendent compte que la ville ne va pas renverser leur situation. C’est le cas du rocker déjanté et paranoïaque qui rêve de faire un come-back à la Elvis dans un casino détruit depuis longtemps.

    B&G : Dans la dernière nouvelle, tu fais d’ailleurs apparaître un mafieux qui tient la ville.

    PM : Oui, il y a un vrai mafieux qui possède un casino. Mais, dans cette nouvelle, il y d’autres personnages encore plus dangereux et inquiétants que les mafieux, des personnages surnaturels qui viennent d’un autre univers.

    B&G : Ces personnages surnaturels sont pourtant plus humains que les humains.

    PM : De toute façon, les spectres, avant d’avoir été des spectres, ont été des êtres humains. Donc ils doivent garder une part d’humanité.

    B&G : Les vrais humains ont parfois l’air de zombies. Et les personnages surnaturels sont aussi des losers. C’est une réunion décalée de zombies et de succubes.

    PM : J’ai un peu réuni tous les types de personnages que j’aime, à la sauce rock’n roll. Par exemple les succubes et les incubes, qui viennent de mes lectures de Huysmans. J’aime bien quand les univers se rencontrent, quand le fantastique fait irruption dans le réel, quand le réel est au bord du fantastique, quand les frontières s’estompent.

    B&G : Les légendes du rock qui traversent tes nouvelles ressemblent un peu à des fantômes surgis du passé. On devine ou on croise les fantômes d’Elvis, des Stones, de Janis Joplin. Cela rappelle des papiers que tu avais écrits pour Gonzaï, dans lesquels tu interviewais des stars du rock prétendument mortes mais qui, en fait, auraient changé de vie et vivraient dans l’anonymat. Un Jim Morrison devenu colonel en retraite, un Elvis vivant dans une caravane en Corrèze, une Janis Joplin qui tient une baraque à frites.

    PM : Il y a énormément de rock stars qui ont disparu très jeunes. Donc on se pose forcément des questions du genre « What if ? ». Si elles avaient vécu, que se serait-il passé ? Où vivraient-elles aujourd’hui ? Qu’auraient-elles fait à 50 ans ? A 70 ans ? A 80 ans ? Comme je les aime bien, je leur invente parfois un avenir. Dans les récits de Gonzaï, je partais du principe que ces rock stars disparues étaient vivantes, et qu’elles menaient une vie tranquille qui n’avait plus rien à voir avec le rock’n’roll, qu’elles avaient changé d’identité. Et j’avais inventé un journaliste qui partait à leur recherche. Dans "Terminus Las Vegas", il y a le fantôme d’Elvis qui tient un rôle important dans une nouvelle. Il y a aussi les Rolling Stones. Eux ne sont pas des fantômes, ils sont bien vivants. Enfin… à peu près. Mais ils n’auraient pas réussi à passer les années 80 avec succès, ils seraient devenus des intermittents du spectacle, vivotant en enregistrant des publicités destinées aux séniors.

    B&G : Dans toutes tes nouvelles, il y a ce côté univers parallèle.

    PM : J’aime bien jouer avec cette idée-là, avec les uchronies, faire prendre à l’histoire un mauvais virage. C’est le cas dans la nouvelle avec les Rolling Stones.

    B&G : La première nouvelle est assez intéressante dans sa construction. Elle raconte l’histoire de la chanson Me and Bobby McGee de Kris Kristofferson, à travers les souvenirs, plus ou moins cohérents, de personnes qui ont contribué ou qui ont assisté, de près ou de très loin, à sa création.

    PM : On connaît surtout la version de Janis Joplin. Dans cette nouvelle, j’ai imaginé comment Kris Kristofferson a écrit cette chanson en allant, un jour, dans un bar situé dans une ville ouvrière, comment il a rencontré un poivrot, et comment ce poivrot lui a raconté son histoire. Au milieu de cette histoire que déroule ce poivrot, qui est le vrai amoureux de Bobby, je fais intervenir les témoignages de tous les gens qui ont interprété cette chanson, Jerry Lee Lewis ou Merle Haggard par exemple. Et puis aussi les témoignages de personnes qui n’ont rien à voir avec cette chanson, comme John Edgar Hoover, patron du FBI à l’époque, ou encore Abbie Hoffman, un révolutionnaire important des années 60. Tous ont une lecture de la chanson qui dépasse largement son sens : pour Hoover, elle a un sens caché subversif ; pour Hoffman, la chanson est un appel à la révolution car Bobby porte un bandana rouge. Je m’amuse à jouer avec le texte de la chanson.

    B&G : De nombreux personnages, visibles ou invisibles, sont de grandes figures du rock. Tu les as choisis pour une raison particulière, parce que ce sont des musiciens que tu apprécies ? Elvis, par exemple, est un personnage central du recueil de nouvelles, même si on ne le voit jamais. Il est à la fois caché et omniprésent.

    PM : Elvis est au cœur des nouvelles car c’est lui qu’on cherche. Et quitte à passer du temps avec des personnages, autant que ce soit avec des gens que j’aime. Elvis, Jerry Lee Lewis, les Stones, Janis Joplin, ou encore Kris Kristofferson, font partie de mon univers, au même titre que les bandes dessinées que j’ai lues quand j’étais enfant. J’ai grandi avec eux, ce sont des personnages qui m’ont construit et qui m’accompagnent toujours. Ça m’amuse de les utiliser comme des personnages de nouvelles.

    B&G : Il y a aussi des personnages connus qui ne sont pas issus du rock, dont un Francis Ford Coppola alternatif. C’est un cinéaste qui t’a marqué ?

    PM : C’est un cinéaste que j’adore. Même si je n’aime pas tout ce qu’il a fait. « Apocalypse Now » est un de mes 10 films fétiches. Dans la nouvelle concernée, j’ai un peu repris le principe de « L’homme qui tua Liberty Valance » de John Ford : l’homme à qui on attribue un exploit, un succès, est un imposteur. Là, j’ai inventé un scénariste de l’ombre qui aurait écrit « Apocalypse Now » et un très méchant Coppola qui lui aurait volé son scénario.

    B&G : Tu montres un jeune Coppola, étudiant complètement désinvolte, qui ne pense qu’à parler des filles sur son campus, avec des ambitions cinématographiques très médiocres.

    PM : Oui. Coppola est  devenu un monstre sacré du cinéma mais je me base sur un fait réel : il a démarré en tournant des séries B pour Roger Corman, avec des budgets dérisoires. C’est pour cela que, dans la nouvelle, il travaille pour Corman et veut ajouter au scénario des filles à poil et des extra-terrestres. C’est, selon lui, ce qui attire le public en salle.

    B&G : C’est assez marrant d’avoir cette vision d’un Coppola réalisateur de nanards, très éloignée de son image.

    PM : Oui, j’aime bien égratigner les icônes, déboulonner les idoles. Surtout quand les personnages deviennent trop consensuels, quand ils font trop l’unanimité, même si ce n’est pas de leur faute.

    B&G : Dans la dernière nouvelle, tu fais intervenir Lovecraft, auteur de récits fantastiques, et Lester Bangs, journaliste musical. Ce sont tes maîtres littéraires ?

    PM : Ça m’arrangeait de les utiliser car ils sont morts et que j’avais besoin de personnages morts. Lovecraft, je l’ai beaucoup lu quand j’étais adolescent. Je ne l’ai pas relu depuis longtemps, mais il est resté très important pour moi. Quant à Lester Bangs, je l’ai découvert comme beaucoup de Français dans les années 90, quand ses textes ont été publiés aux éditions Tristram. Le personnage est devenu vraiment attachant lorsque j’ai lu la biographie que lui a consacrée un de ses amis. C’est un très bon écrivain, très drôle, un très fin analyste musical, au mode de vie pour le moins chaotique. Le petit fantasme que j’avais, c’était de me faire interviewer par le fantôme de Lester Bangs. C’est le point de départ de la nouvelle.

    B&G : Dans cette nouvelle, il y a beaucoup de personnages qui se croisent.

    PM : Oui, j’aime bien les scènes finales des comédies américaines, dans lesquelles tout le monde se retrouve, les fins à la Mel Brooks !

    B&G : Ramon Diaz, le personnage mexicain qui veut réussir à Hollywood, apparaît dans deux nouvelles, dont la dernière. Il fait penser au mythe de Sisyphe : on a l’impression qu’il est voué à tenter éternellement sa chance à Hollywood et à éternellement échouer à Las Vegas.

    PM : C’est bien observé. Il s’agit d’un gars qui n’a pas capitulé mais ça ne veut pas dire qu’il va réussir. Il a même très peu de chances d’y arriver.

    B&G : Étant donné que nous allons publier sur cette interview sur un blog musical, pourrais-tu nous donner une playlist 100% Las Vegas ?

    PM : - Kris Kristofferson : Me and Bobby McGee
            - The Rolling stones : Time waits for no one
            - Hank Williams III : My drinking problem
            - Dave and Phil Alvin : Stuff they call money
            - The Clash : Brand new Cadillac
            - Elvis Presley : Too much monkey business
            - Tony Joe White : Tell me a swamp story
            - Ian McLagan : How blue
            - Jim Ford : Spoonful

            - Richmond Fontaine : Let's hit one more place
            - Julie London : You'd be so nice to come to
            - Steve Miller Band : Living in the USA

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